Un automne sous le signe éclaté de Caroline Mauxion

Les œuvres de Caroline Mauxion ont quelque chose d’à la fois magnifique et tragique. Dans ses images se croisent la mort et la renaissance de la photographie.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Les œuvres de Caroline Mauxion ont quelque chose d’à la fois magnifique et tragique. Dans ses images se croisent la mort et la renaissance de la photographie.

« J’ai arrêté de penser à ce que je photographiais. Je me suis mise à vraiment penser ce qu’était l’acte de photographier. » Le commentaire ne vient pas d’un vieux routier de la caméra, usé et blasé. C’est plutôt une Caroline Mauxion pleine d’idées et d’aplomb, artiste révélée il y a à peine deux ans, qui s’exprime ainsi.

Ses oeuvres, preuves matérielles d’exercices de lumière — quoi d’autre serait la photographie ? —, ont quelque chose à la fois de magnifique et de tragique. Dans ses images d’images, situées entre abstraction, illusion et représentation en abyme du support papier, se croisent la mort et la renaissance de la photographie.

La saison qui est à nos portes apportera une autre exposition de Caroline Mauxion — la cinquième, mine de rien. Attendu pour novembre à Optica, centre d’artistes du Pôle de Gaspé, dans le Mile End, le projet intitulé Une enveloppe sans contour lui permettra de renouveler — déjà ? — sa pratique. Exit le papier, bienvenue le verre.

« J’ai tendance à évacuer le papier, je m’en vais vers d’autres matériaux, dit-elle, dans son atelier. L’empreinte lumineuse reste, mais je tente de dissocier lumière et empreinte. Ce sont l’espace et le mur blanc qui révéleront l’image. La lumière est encore importante. »

Pour l’hybridité

En cette année impaire, comme dans toutes les autres depuis 1989, le Montréal des arts visuels sera plongé dans un immense bain d’images. Un automne comme celui-ci, c’est en effet celui du Mois de la photo et d’un vaste programme d’expositions placées officiellement ou non à sa remorque.

Pour sa 15e édition, le Mois de la photo a été rebaptisé Momenta et a été repensé en « biennale de l’image », davantage en accord avec les pratiques actuelles.

Bien qu’exclu de Momenta, et même présenté après, le travail de Caroline Mauxion est emblématique de l’esprit de renouvellement porté par la biennale photographique.

Aux yeux de l’artiste native de France et établie au Québec depuis 2011, Momenta affirme le caractère étendu d’un art hybride, « contrairement à d’autres festivals pris encore dans la représentation photographique, dans la surface iconique ».

Photo: Guy L'Heureux «L’ombre au tableau – déplacement #3», de Caroline Mauxion, à la Galerie Simon Blais, à Montréal

L’hybridité que défend Caroline Mauxion est celle d’une photo qui peut être de nature installative ou performative, qui peut être portée par le souffle de l’abstraction picturale ou naître en tant que projet in situ.

« Je suis dans l’indiciel qui est, comme le dit [l’historienne de l’art] Rosalind Krauss, le lien entre l’objet photographié et la surface sensible », résume celle qui a terminé ses études de maîtrise en 2016.

Comme d’autres artistes de sa génération, ou de celle qui a tout juste précédé, tels que Manon De Pauw, Yann Pocreau ou Jessica Eaton, Caroline Mauxion fait de la prise d’images un acte central dans sa pratique, sans le considérer comme le seul ou le principal.

Dans le courant Woolf

 

La diplômée de l’UQAM a rapidement été appréciée. Le prix Sylvie et Simon Blais pour la relève en arts visuels, qu’elle a obtenu en 2015, l’a grandement aidée, notamment parce qu’il était accompagné d’une exposition individuelle. La Galerie Simon Blais a même accepté de la défendre.

Je suis une fan perdue de Virginia Woolf. [...] Ses romans sont sans intrigues, sans narration. Mes images aussi.

 

Cet été, lors d’une expo collective dans une nouvelle galerie de Saint-Henri, AVE, Caroline Mauxion a présenté des oeuvres inspirées du roman Les vagues de Virginia Woolf. Pour son solo à Optica, elle poursuivra son clin d’oeil à l’écrivaine anglaise, sans tomber, assure-t-elle, dans la citation.

« Je suis une fan perdue de Virginia Woolf,admet-elle. Son écriture est expérimentale. Elle a essayé de dépasser l’aspect représentatif et figuratif du langage. Ses romans sont sans intrigues, sans narration. Mes images aussi. »

La photographe aime penser que les oxymorons et l’écriture phénoménologique de Woolf trouvent écho chez elle, cent ans plus tard.

« Woolf parle de l’indicible, des choses que l’on perçoit, difficiles à exprimer. Le liquide devient solide, le transparent, opaque. Ce sont des images qui me restent en tête », dit celle qui souhaite développer des « expériences photographiques » similaires à ce qu’elle a ressenti en lisant l’auteure de Mrs Dalloway.

À noter que, dans cette saison photographique, les femmes seront nombreuses en solo. Parmi elles, notons Sylvie Readman, dont l’expo À contretemps II : site spécifique vient de débuter à la Galerie Laroche/Joncas, ou encore Elena Willis, objet d’une rétrospective à la galerie Ellephant.

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