La vie secrète des objets au Musée régional de Rimouski

Les objets nous entourent et parfois même nous encombrent, mais pour si évidente qu’elle puisse sembler, leur présence cache des mondes insoupçonnés. Éroder cet a priori de la banalité prêtée aux objets est l’objectif de l’exposition de groupe La chose en soi, concoctée avec précision et fraîcheur par la conservatrice de l’art contemporain Ève De Garie-Lamanque au Musée régional de Rimouski.
Chaises IKEA, livres, mobiliers divers et cartons recyclés composent les oeuvres qui les montrent en reproduction ou directement, suivant le sillage du readymade de Marcel Duchamp, depuis longtemps enrichi par d’autres stratégies. La familiarité du monde ordinaire des objets en ressort transformée par des opérations qui font sourire et intriguent, ce qui rend l’exposition immédiatement attractive pour le public élargi, ouvertement courtisé par l’établissement faisant face au fleuve Saint-Laurent.
Dans l’habituel opuscule d’accompagnent à la conception graphique joliment repensée depuis l’année dernière, la commissaire reconnaît d’ailleurs la riche tradition artistique rattachée à l’objet (approprié, détourné, déconstruit…). Elle en offre un aperçu avec les oeuvres plus ou moins récentes de dix artistes du Québec, du Canada et d’ailleurs. L’exposition se veut aussi une introduction aux enjeux déterminés par les théories de l’objet et de la culture matérielle, courant de pensée pour lequel l’engouement est fort dans les domaines de l’histoire de l’art et de l’anthropologie, entre autres.
Réel prosaïque
De l’objet, il ne peut y avoir de connaissance en soi, pour lui-même. Kant l’affirmait déjà, rappelle De Garie-Lamanque. Il y a certes une réalité matérielle propre aux objets, mais leur statut et leur valeur dépendent des relations qui les entreprennent. Les oeuvres sont évocatrices de ce constat en nous les révélant en dehors des contextes et des usages qui leur sont conventionnels.
De vils cartons récupérés sont ainsi transmutés dans les oeuvres de Micah Lexier et du duo Cozic. La vidéo du premier captive en faisant défiler des compositions formelles recherchées, en tous points semblables à des abstractions artistiques qui auraient la prétention de leur autonomie. L’artiste les fait apparaître et disparaître impliquant ses mains dans le cadrage de la caméra de sorte à maintenir les images à la lisière de l’art et du réel prosaïque qui lui a fourni son matériau. Cozic a quant à lui donné à des cartons d’emballage des airs de masques, comme si nos marchandises étaient l’égal de fétiches dotés de vie ou de pouvoir magique.
Ce sont nos rapports aux marchandises d’ailleurs que plus d’un artiste remet en perspective. Pas étonnant ici de retrouver la série d’oeuvres faites par Jacinthe Lessard-L. autour d’une iconique chaise IKEA. Une vidéo montre de front quatre personnes devant assembler une de ces chaises. Même très standardisée, la construction expose les manières personnelles à chacune pour venir à bout de l’exercice. D’autres personnes ont eu la consigne de ne pas suivre le plan de montage et de créer une sculpture à partir des modules usinés, ce qui a donné lieu à une variété de combinaisons captées en photo.
Assemblages

Devant ces propositions où l’objet de masse se personnalise, l’accumulation reste parfois de mise. Chez Michael A. Robinson, des séchoirs à linge et des tiges de bois assemblés campent au milieu de l’espace une sculpture aux lignes si présentes que l’on pourrait qualifier l’oeuvre de graphique, une ambiguïté commune avec le fait que cet objet utilitaire soit devenu art. Dans l’installation vidéo de Michel de Broin Monochrome rouge (2002), un rassemblement de chaises s’anime, une de couleur claire, se rebiffant parmi les rouges, telle une métaphore de la résistance.
Dans un rapport anthropomorphique, les objets s’avèrent des substituts des personnes. Ils peuvent aussi arborer les indices d’une vie, ou de plusieurs, continuant ainsi à parler des humains. James Nizam a aussi créé des assemblages d’objets, mais qu’il a trouvés dans un édifice à logements sociaux de Vancouver promis à la démolition. Prises in situ, les photographies laissent peu deviner de cet endroit dans lequel des sculptures faites de matériaux ou de mobilier usés édifient des structures précaires à l’image peut-être du lieu et des habitants déjà partis.
Autre mobilier rendu étrange (Axel Lieber) et copies d’objets confondantes (Roula Partheniou et Kristin Nelson) composent également cette exposition, dont la moins visible des oeuvres, la bande sonore de CFCF, Music for Objects, est cependant aussi la moins prégnante en matière de pertinence.
Ce détail n’obscurcit pas les vertus pédagogiques de l’exposition, qui poursuit en outre une réflexion sur le quotidien et la culture matérielle amorcée l’année passée dans L’état des choses, avec les oeuvres de huit artistes canadiens récemment acquises par le musée. Souvent abordé en arts, mais d’une richesse qui rend possibles plusieurs éclairages et déclinaisons, le thème fera d’ailleurs l’objet d’un troisième volet dans une exposition à venir.