Jouer avec les lois sensorielles

Le futur, c’est maintenant, pas vrai ? Manifestement, pour les gens de chez Phi, c’est le cas. Dans le troisième volet de son cycle Sensory Stories, intitulé «Mondes oniriques», le complexe multidisciplinaire du Vieux-Montréal présente une douzaine d’oeuvres immersives, ébauches d’un nouveau champ de création qui s’annonce foisonnant et sensitif.
Cette nouvelle exposition veut transporter les visiteurs « dans des univers jusqu’à présent insondables ». C’est-à-dire ? Se transformer en arbre, explorer l’espace, entrer dans la peau d’un oiseau ou encore visiter les souvenirs traumatiques d’un inconnu. À la lisière de la vidéo, du jeu, du cinéma, de la 3D, les oeuvres présentées, un peu imparfaites sur le plan technologique, font voyager, rire, sursauter, s’exclamer, voire tirent une larme. Le succès de Phi dans ce défrichage numérique montre que l’humain du XXIe siècle veut plus que jamais être au centre des stimulations.
Présent pour le lancement, Charles Melcher, le fondateur de l’organisme new-yorkais Future of StoryTelling, partenaire de Phi dans l’élaboration de l’exposition, donnait le pouls : « Ce ne sont pas des productions passives. Nous avons un rôle à jouer. Perdez-vous dans ces oeuvres. »
Aussitôt dit, aussi tenté. La poignée de journalistes venus tester cette préouverture la semaine dernière se met timidement en branle dans les deux pièces hébergeant la programmation. Testons d’abord ce jeu à la première personne intitulé Home : Immersive Spacewalk Experience, dans laquelle on se retrouve en combinaison d’astronaute sur la carlingue de la station spatiale internationale. Manettes en main, casque sur la tête, le vertige est crédible lorsque l’on se sent dériver à gravité nulle.
Et comment interpréter cette poétique proposition de Sanne De Wilde, des Pays-Bas, intitulée The Island of the Colorblind ? Sans avoir recours aux pirouettes technologiques observées pour les autres oeuvres, cette installation dans laquelle on se met dans la peau de personnes qui ne voient pas les couleurs couple documentaire et abstraction.
Vous êtes le héros
Si à une époque pas si lointaine le chantier de la réalité virtuelle et de l’interactif n’intéressait que les plus geeks, le milieu se décloisonne, attirant un plus grand nombre. « De plus en plus, les gens, les jeunes veulent être partie prenante des oeuvres qu’ils reçoivent », commente la réalisatrice britannique Karen Palmer, auteure de la pièce Riot (prototype), un court-métrage immersif utilisant une technologie de reconnaissance émotionnelle pour faire évoluer le cours de l’histoire. « Il y a dix ans, quand j’ai commencé à expérimenter avec ce genre de technologie, les gens me voyaient comme une espèce de meuf étrange, raconte la créatrice. Aujourd’hui, ça intéresse tous mes amis qui font des films traditionnels. »
Son oeuvre place le spectateur dans le rôle d’un manifestant, au sein d’un rassemblement qui tourne à l’émeute. « Je me suis inspirée des émeutes de Ferguson, après le décès du jeune Michael Brown, poursuit Mme Palmer. C’était une façon de rendre ce genre d’expérience accessible à un plus grand nombre. »
Le potentiel journalistique, documentaire et artistique est indéniable. « On peut le voir comme un nouveau journalisme, ajoute Karen Palmer. Cequ’on voit, c’est que les gens s’intéressent de moins en moins aux faits. Ils s’intéressent aux sensations, aux émotions. Lorsqu’on lit quelque chose, on ne va pas dire “c’était un très bon article”. Non, on va exprimer comment il nous a fait sentir. »
L’exposition, à l’affiche jusqu’au temps des Fêtes, intégrera de nouvelles pièces au fil de son déroulement.