Cinquante ans après l’Expo, de nouveaux regards

Montréal ? Parisien, Simon Boudvin en avait une idée très parcellaire. Qui le fascinait, de loin. Pour l’artiste formé architecte, Montréal, c’était la ville de Richard Buckminster Fuller et de son dôme géodésique. C’était la ville d’Expo 67 et de ses folies architecturales.
Simon Boudvin a fini par se présenter à Montréal, en 2016, pour une résidence de création à la Fonderie Darling. Il est arrivé avec l’idée d’explorer le site de l’Expo. Coup de chance : au Musée d’art contemporain (MAC), on entamait les préparatifs de l’exposition À la recherche d’Expo 67.
Boudvin a été invité à créer une oeuvre pour l’occasion, à l’instar de quatorze autres artistes, tous trop jeunes pour avoir connu l’historique événement. L’ensemble de leurs projets, ainsi que trois autres oeuvres déjà existantes et un film de 1967 (La vie polaire, de Graeme Ferguson), forment l’exposition inaugurée mercredi.
Une seconde exposition, consacrée au travail de l’artiste Olafur Eliasson, débute en même temps. Apprécié pour un usage simple et efficace de la technologie, le Danois de parents islandais était tout destiné à côtoyer À la recherche d’Expo 67. Il est né en 1967, il signe des oeuvres inventives, rassembleuses…
Pas de nostalgie
Expo 67 ? C’est sûr qu’on ne reverra plus jamais quelque chose de similaire, juge Lesley Johnstone, conservatrice du MAC. « Quatre millions de dollars donnés à un artiste pour faire ça [La vie polaire], ça ne se referait pas. On ne confierait plus un Habitat 67 à un architecte de 29 ans [Moshe Safdie]. Il y avait à l’époque une confiance envers les artistes, les architectes. On a construit un pavillon pour les besoins d’un film, Labyrinthe [de Roman Kroitor et Colin Low]. »
La chef des expositions et de l’éducation du MAC pourrait continuer ainsi à énumérer les idées de grandeur qui ont marqué Expo 67. Car c’est néanmoins ça, cette créativité quasi illimitée, qui chapeaute À la recherche d’Expo 67.
Lesley Johnstone en est une des commissaires, avec Monika Kin Gagnon, codirectrice du groupe de recherche CINEMAexpo67 et fille de l’artiste Charles Gagnon. Le peintre et photographe, âgé de 34 ans en 1967 et décédé en 2003, avait muni le Pavillon chrétien d’une installation multimédia démesurée : plus de 300 photographies, 40 haut-parleurs et un film 16 mm, Le huitième jour, construit comme un collage d’images de guerre.
Projections sonores, films, peintures murales, séries photographiques, maquettes, sculptures… La diversité de ce que le MAC a réuni reflète la diversité d’Expo 67, selon Lesley Johnstone. « Les artistes ne sont pas dans la nostalgie, estime-t-elle. Ils ont un regard critique, mais sont aussi très émerveillés par les projets d’Expo 67. »
Fascinations
« Le film de Charles Gagnon, c’est du rentre-dedans, confie Emmanuelle Léonard, c’est dur, mais il a quelque chose de fascinant. » À sa découverte du Huitième jour, l’artiste, connue pour son travail en images proche du documentaire, s’est posé un défi : « Si on faisait ça aujourd’hui, on ferait comment ? »
David K. Ross, lui, est ébahi par l’ensemble d’Expo 67. Du moins, de l’idée qu’il s’en fait, soit un lieu de cinéma. « Les pavillons étaient des décors de plateau, il y avait de milliers de figurants et le minirail servait à filmer de longs travellings », dit celui qui s’imagine les visiteurs armés de caméras.
Son film Souveraine comme l’amour, Ross l’a réalisé avec une caméra-drone. Il invite à parcourir, à bord d’un minirail imaginaire, le tracé original. Une voix off récite des extraits de Terre des Hommes, le texte de Saint-Exupéry qui a inspiré la thématique de l’Expo.
Ce retour dans le passé, cette « mémoire de la mémoire », il affirme ne pas l’avoir fait par nostalgie. Mais pour illustrer ses rapports avec 1967. « Mes souvenirs d’Expo 67 dépendent des souvenirs des autres », dit David K. Ross.
Regards critiques
Jean-Pierre Aubé, artiste imbu de science et de technologie, a été attiré par le pavillon Kaléidoscope, si particulier par sa forme circulaire faisant penser à un carrousel de diapositives. Il n’en a pas moins extirpé de ce bâtiment dédié à la couleur un côté sombre.
« Le pavillon était commandité par des entreprises canadiennes de produits chimiques, rappelle-t-il. Je les paraphrase, mais elles disaient que notre monde en noir et blanc, elles nous le transformeraient en couleur. »
Admiratif des expérimentations d’Expo 67, Simon Boudvin n’est pas pour autant tombé dans un rapport de béatitude.
« J’ai fait l’inverse, dit-il. Plutôt que de retourner sur le site visiter les vestiges, j’ai cherché dans la ville les réminiscences stylistiques et constructives des pavillons. Je n’étais quand même pas pour travailler sur le dôme de Buckminster Fuller. C’est comme si un Nord-Américain travaillait à Paris sur la tour Eiffel. »
Pour À la recherche d’Expo 67, Emmanuelle Léonard ne s’est pas improvisée archéologue. Du moins, pas sur le terrain. Elle a plutôt fureté le Web dans le but d’amasser des images des conflits planétaires depuis 1967. Et de commencer là où Charles Gagnon s’était arrêté.
Images pauvres
Le huitième jour, dont le titre évoque « les écritures saintes et renvoie au jour où l’humanité reçoit, de Dieu, la Terre en héritage », selon ce qu’en dit sur le Web CINEMAexpo67, racontait le monde selon les images de guerre. Jusqu’en 1967.
« Lui, il s’intéresse à la technologie, à l’armement. Moi, à la technologie de l’image », dit Emmanuelle Léonard, dont le film est tissé par des guerres moins médiatisées et celles faites « avec des bouts de chandelles ».
« Les changements technologiques ont créé de nouveaux auteurs. On arrive à quelque chose de plus “pauvre”, en matière de qualité d’image, de moyens guerriers, de célébrités », poursuit-elle.
L’histoire de la guerre, chez Léonard, est celle du quotidien : manger, surveiller, attendre, compter les balles…
À la recherche d’Expo 67 n’est pas une célébration dont on s’ennuie 50 ans après sa tenue. Pour John Zeppetelli, directeur du MAC, « elle s’interroge sur les prémisses d’Expo 67. » « Cette grande célébration des nations était aussi un ensemble d’îlots, ma paroisse ici, ta paroisse là », commente-t-il.