De fascinants collages à en perdre notre latin

Lauréat du concours de peinture canadienne RBC en 2006, alors qu’il n’avait pratiquement jamais exposé, Dil Hildebrand a souvent été considéré, depuis, comme une des têtes d’affiche de sa discipline. Sa plus récente production le montre en tout cas aussi inventif qu’à ses débuts.
L’exposition E Unibus Pluram coïncide avec les dix ans de son tout premier solo, tenu déjà, comme cette fois, à la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain. En sept peintures et presque le double de collages, l’artiste montréalais natif de Winnipeg propose un corpus qui a passablement renouvelé sa pratique.
La signature est la même, remarquez : superposition de plans, complexité de la composition, juxtaposition d’éléments en fragments et/ou de couleurs disparates, effets d’illusion et une matière aussi riche et parlante.
Celui qui peint « une vue sur un espace de création, [là] où se développe le faire de la peinture », comme l’écrit Marie-Ève Beaupré dans la publication phare Le projet peinture, un instantané de la peinture au Canada (2013), poursuit en 2017 sur cette même voie. Un tableau de Hildebrand se situera toujours quelque part entre l’objet et l’image, comme s’il s’agissait de sa propre mise en abyme.
Ce qui est nouveau avec les oeuvres de E Unibus Pluram, c’est que celles-ci ne sont pas que de la peinture. De la fibre de nylon, du sable et même un panneau translucide participent à la composition. Des couches d’acrylique, appliquées ici et là et parfois grattées, retirées, demeurent néanmoins centrales à la proposition.
Le motif de la fragmentation, présent depuis dix ans chez l’artiste, sert moins à mettre en scène des trompe-l’oeil, comme à ses débuts, qu’à mieux faire ressortir le processus de création. Jadis paysagiste, puis ouvertement narratif (avec des allusions à l’atelier), la peinture de Dil Hildebrand a gagné en ambiguïté.
Un peu dada, beaucoup de nous
L’esprit collage de ces nouvelles peintures, appuyé par les véritables collages qui les accompagnent dans la grande salle de la galerie, s’inscrit ainsi, peut-être de manière lointaine, à la suite du mouvement dada. Le recyclage, d’idées ou de matériaux, est d’ailleurs très présent dans les deux corpus. Dans The Cat Crieth, par exemple, une partie de l’arrière-plan — une grille blanche sur fond vert — rappelle la série de tableaux que Hildebrand avait exposée en 2012.
De nature plus spontanée, moins dans l’évocation architecturale que par le passé, les oeuvres de 2016 et 2017 respirent une plus grande liberté, voire une fantaisie enfantine. Les titres citant le monde animal appellent à imaginer des contes, voire des jeux de mots, de ceux qui cherchent à réinventer le monde.
L’intitulé de l’expo, par ailleurs, est une citation d’un essai homonyme de 1993, signé par l’écrivain new-yorkais aujourd’hui décédé David Foster Wallace. L’auteur de L’infinie comédie avait trafiqué dans E Unibus Pluram la devise des États-Unis (E Pluribus Unum), afin d’inverser l’idée qu’un ensemble d’individus forme une collectivité.
Ce « tout qui compose plusieurs », chez Wallace, était destiné à lancer des flèches à une société de téléspectateurs assis seuls devant l’écran, mais réunis par les mêmes images. Un quart de siècle plus tard, la télé n’est peut-être plus aussi dominante, mais les petits écrans se sont multipliés sous plusieurs plateformes. Le texte de Wallace, à relire sans doute, n’a probablement pas perdu en pertinence.
Le travail de Hildebrand répond à cette critique sociale et politique de manière très peu littérale. Ces oeuvres, complexes et en mille fragments, semblent pouvoir se lire dans les deux sens : un tout qui se construit à partir de plusieurs détails, à moins que ce ne soit ce tout qui définit chacun d’eux. Comme la devise latine qui les chapeaute, les peintures et collages exposés sont à la fois un vieux langage suranné et un joli clin d’oeil à la créativité.