Moments choisis d’une collection en développement

Hormis les expositions temporaires qui sont le point de mire de leur programmation, les musées se consacrent aussi à valoriser leur collection. Une fraction infime de celle-ci se voit cependant montrée, comme présentement au Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) où à peine 1 % des oeuvres sont sorties des réserves. C’est peut-être peu, mais le nouvel accrochage, lancé progressivement cet hiver sans tambour ni trompette, accomplit brillamment sa tâche.
Il a été pensé par la conservatrice de la collection, Marie-Ève Beaupré, arrivée en poste il y a un an. Sa proposition repose sur une formule évolutive intitulée Tableau(x) d’une exposition, qui organise les oeuvres en regroupements thématiques, des sections qui seront partiellement ou totalement modifiées au fil du temps. Cette flexibilité s’applique aussi dans l’accrochage des oeuvres en dehors des salles ; hall et lieux de passage sont savamment investis pour s’ajuster à l’actualité et au reste de la programmation.
C’est dans cet esprit que les oeuvres des frères Sanchez, d’Andres Serrano et de Charles Gagnon accueillent les visiteurs dans la rotonde, comme autant d’échos sensibles aux phénomènes de migration, à la crudité de la morgue ou aux territoires frontaliers présents dans la remarquable exposition à l’étage de la Mexicaine Teresa Margolles.

Moment charnière
Plus qu’un prélude, s’affirme dans ces espaces — que le MAC exploitait certes déjà auparavant — la signature de Marie-Ève Beaupré. Avec elle, c’est un nouveau regard qui est jeté sur la collection à un moment charnière de l’institution. Sur le point de lancer le concours d’architecture pour son agrandissement, dans le but entre autres d’augmenter la superficie d’exposition pour la collection, le MAC prépare un grand chantier qui s’amorcera au début de 2019. Les oeuvres entreposées devront être déménagées tandis qu’environ la moitié des salles d’exposition seront temporairement condamnées.
Pas question alors de cesser les activités, y compris le développement de la collection, dont les axes seront recentrés autour de la jeune production et de la diversité culturelle, à la faveur d’une récente révision de la politique d’acquisition du musée, a affirmé Mme Beaupré au Devoir.
D’ici le lancement des travaux qui forcera quelques acrobaties, les énergies sont nettement déployées dans le but de profiter de tous les espaces avec un accrochage inspiré valorisant une collection composée de pièces importantes et de nouvelles acquisitions notables.
États du monde
En fait partie l’oeuvre de l’Américaine Taryn Simon qui ouvre avec éclat une section sur le thème de l’« état du monde », titre emprunté au bien connu ouvrage de référence compilant annuellement les données économiques et géopolitiques mondiales. La photo de Simon fait partie de la série Paperwork and the Will of Capital (2015) qui dresse avec originalité un inventaire de traités commerciaux et d’accords internationaux, véritables maîtres de l’ordre mondial. Les cartographies réinventées de Hans Arp et de Robert Longo ainsi que les espaces scrutés par Claude-Philippe Benoit et Angela Grauerholz disent autrement ensuite comment les pouvoirs se dessinent souvent en des lieux à notre insu.
À l’image du reste de l’accrochage, les oeuvres de provenance et de générations différentes se côtoient, révélant des affinités nourries par un dialogue ouvert entre les époques et les artistes.
À quelques pas, The Sleepers (1992) de Bill Viola fait partie de ces oeuvres-clés de la collection qu’il fait bon revoir, surtout depuis l’angle nouveau aménagé par la proximité de Fatigues (2014), d’Abbas Akhavan, avec ses animaux empaillés au sol. Leur fixité mortifère pourrait passer pour de la dormance tranquille, ambiguïté qui échappe au diorama de Marcel Dzama montrant une scène de chasse fabulée aux connotations plus carnassières. L’état du monde conduit aussi à des questions existentielles, suggère avec à propos une figurine rarement montrée de Marcel Lemyre.
Son corps schématique se vautrant fait bellement la transition avec le thème de la section suivante, Entre le soi et l’autre, où se multiplie la figure humaine, sous des formes mutantes, hybridées et fantasmées notamment proposées par les oeuvres de David Altmejd, de Shary Boyle et de Valérie Blass. L’altérité se décline aussi dans Tous ces visages (2007-2008) de Raphaëlle de Groot, oeuvre bouleversante qui accumule les portraits dessinés à l’aveugle alors que le mur adjacent présente une myriade de vautours esquissés sur papier par Rober Racine. Au bout, l’inquiétant prend le dessus avec Tony Oursler et sa projection vidéo sur poupée dans un espace exigu qui la sert bien.
Jusqu’au 30 avril, il est encore possible de visiter Car le temps est la plus longue distance entre deux endroits, la section qui, plus tôt cet hiver, a inauguré avec le même doigté qu’on lui reconnaît aujourd’hui le cycle de « tableaux ». La qualité et la pertinence de cet accrochage se confirment également dans la présentation d’une installation vidéo en cours d’acquisition d’Hajra Waheed, l’artiste de Montréal dont on apprenait récemment qu’elle participera à l’exposition centrale de la Biennale de Venise, une présence rarissime du Québec dans ce volet du prestigieux événement.
La collection du MAC en quelques faits
La collection a été créée en 1964.Elle est composée de 7961 oeuvres d’artistes contemporains du Québec, du Canada et de l’étranger.
Elle a connu une croissance marquée par des dons importants de la communauté, des Musées nationaux du Canada (1973), du Dr Max Stern et de Mme Iris Stern (1972-1988), du legs de René Payant (1988) et par l’acquisition de la collection Lavalin (1992).
La collection se verra enrichie grâce au legs exceptionnel de Paule Lajoie, se chiffrant à 2 millions de dollars.