Papier 2017, de foire en phare

Natalie Reis, avec «Happy Ending» (détail, 2017), aborde le drame des agressions sexuelles.
Photo: Source Galerie Trois Points Natalie Reis, avec «Happy Ending» (détail, 2017), aborde le drame des agressions sexuelles.

La principale foire d’art au Québec est née dans le scepticisme. Et dans la marge, au Westmount Square, lieu chic, certes, mais peu couru. C’est qu’il fallait aller là où se nichait l’argent. En cet automne 2007 soufflait un doute sur la fiabilité du marché local. L’Association des galeries d’art contemporain (AGAC) y lançait néanmoins sa foire, baptisée Papier.

Dix ans ou, plus précisément, deux automnes, une pause et sept printemps plus tard, Papierest devenue un événement phare, avec des ventes atteignant le million de dollars. Elle a grandi, passant de la poignée de galeries de l’édition inaugurale à un nombre respectable, autour de 40. Après Westmount, c’est le centre-ville qui l’a hébergée — cinq fois —, suivi du Mile-End et du Vieux-Port. Voilà qu’elle surgit, pour sa dixième édition, dans le faste de L’Arsenal, dans Griffintown.

« Je partais avec un préjugé défavorable, reconnaît Hugues Charbonneau. Au fil des années, j’ai compris qu’il n’était pas seulement question de vendre des multiples et qu’on pouvait aussi y trouver des oeuvres majeures. »

Fondée en 2012, la galerie Hugues Charbonneau ne se prive pas pour présenter à Papier des pièces monumentales, tel un « format poche de 5 pieds par 7 » de l’installation réalisée pour l’aéroport Trudeau par Alain Paiement — une affaire de 2800 images et de plus de 6 mètres.

Visites et performances

 

« Papier, c’est une très belle foire », clame Sylvette Babin, sans peur de prêcher pour sa paroisse. La directrice de la revue d’art actuel Esse y tient kiosque depuis 2007. Elle assure que son enthousiasme n’est pas gratuit et découle de ses expériences à Toronto, à New York, à Londres et à la très frenchy Drawing Now Paris.

« Drawing, c’est gros, c’est sûr, dit-elle. Mais les grandes foires, c’est gavant, on perd de l’intérêt. Papier permet un regard plus intime. »

La 10e foire montréalaise offrira une première à Esse, désormais partenaire média principal et responsable donc des visites guidées, une par après-midi. Connu pour sa pratique du dessin, de la sculpture et de la performance, l’artiste François Morelli orientera les visiteurs sur le thème « temps, trace, papier » et parlera de la durée et de l’aspect performatif en art.

Les liens entre la performance et les oeuvres sur papier sont nombreux, aux yeux de Sylvette Babin. « Le dessin et le travail du corps sont reliés, note l’éditrice. Le geste de la main, c’est déjà une performance. Dans leurs préparatifs, les artistes de la performance passent par le papier, font de la recherche, prennent des notes. »

La commissaire indépendante Andréanne Roy, autre guide invitée par Esse, proposera « Oeuvrer en de temps incertains », soit « un petit tour d’horizon de l’art actuel“engagé” [envers] notre condition socio-géo-politico-historique actuelle ». Son texte d’intention parle de relever « une variété de démarches allant des plus militantes à celles prônant des stratégies de retrait, en passant par l’ironie, l’humour, la subversion ».

Autres incertitudes

 

À la foire, toutefois, les temps incertains dépasseront le cadre géopolitique. Ils concerneront aussi des expériences personnelles, à l’instar d’un dessin de Natalie Reis choisi par la galerie Trois Points comme un des projets spéciaux de cette 10e foire. L’oeuvre Happy Ending aborde le drame de l’agression sexuelle.

« L’art est aussi un véhicule pour des réalités difficiles. Il faut être confronté à nos propres failles et faiblesses », estime Émilie Grandmont Bérubé, directrice de Trois Points. Il lui paraissait important d’exposer Happy Ending pour rappeler que la violence faite aux femmes frappe dans tous les milieux. « On pense qu’en art, on est à l’abri [de ce genre d’actes]. Ce n’est pas le cas », déplore-t-elle.

Digne fête de l’art actuel montréalais, et canadien — une quinzaine de galeries traversent bon an mal an l’Outaouais —, la foire Papiersemble rejoindre un public de plus en plus vaste. L’AGAC a noté qu’un nombre moins important « d’entreprises et institutions se commettent à une promesse d’achat en amont de la foire », selon la directrice Christine Blais. À cela, il faut préciser qu’en 2016, la moitié des exposants ont affirmé avoir effectué 50 % de leurs ventes à de nouveaux collectionneurs.

Selon Hugues Charbonneau, il est temps de passer au niveau supérieur. Le marché local a des limites, croit-il. « Si on veut faire quelque chose de solide et attirer les musées de l’étranger, il faut un bon programme de conférences, avec des sommités internationales et des thèmes qui dépassent le marché de l’art », dit celui qui a refusé une énième invitation à parler de la carrière de galeriste.

Après 10 ans, les doutes ont été dissipés. Et maintenant ?

Papier

Foire d’art contemporain, à L’Arsenal, 2020, rue William, du 21 au 23 avril.

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