Chambre avec vue au MAC

Ces jours-ci, le MAC fait coup double. En parallèle à la brillante exposition engagée de l’artiste mexicaine Teresa Margolles, le Musée d’art contemporain présente l’oeuvre non moins intelligente et non moins politique d’Emanuel Licha.
Depuis plusieurs années, Licha a développé une oeuvre qui réfléchit les images de la guerre. Mais cet artiste ne travaille pas le terrain très miné de l’impact — ou du non-impact — sur les populations des images donnant à voir de la violence. Il s’intéresse plutôt aux conditions de production des représentations de la guerre, à la manipulation volontaire ou involontaire de l’information et de la réalité.
Dans sa vidéo How Do We Know What We Know ? (2011), il tentait de comprendre comment les journalistes, qui ne peuvent pas toujours avoir accès aux zones de combat, arrivaient néanmoins à mettre en scène, à construire, une réalité aux sujets complexes qu’ils doivent couvrir. En 2010, à la galerie SBC, dans son exposition intitulée Pourquoi photogénique ?,Licha montrait une base militaire en Californie où des soldats s’entraînent dans un environnement ressemblant à une ville irakienne.

Ce décor, créé par des artisans de l’industrie du cinéma hollywoodien, permet aux militaires d’avoir une meilleure idée des conditions de la guerre au Proche-Orient. Mais ce lieu permet aussi d’accueillir des médias de masse et des visiteurs plus communs dans ce que l’artiste définit comme un camp « d’entraînement pour les spectateurs », lieu permettant de rendre la guerre et les militaires plus photogéniques…
Dans son installation vidéo au MAC, Licha ajoute un volet important à sa passionnante réflexion sur la représentation de la guerre. Il centre ici son propos sur ces hôtels qui, en temps de conflit, deviennent momentanément des zones protégées. Il est donc allé tourner des images dans les établissements comme le Holiday Inn de Sarajevo, l’Al Deira de Gaza, l’hôtel Ukraine de Kiev, le Mayflower de Beyrouth et le Hyatt de Belgrade.
Dans ces édifices furent logés des journalistes. Mais, étonnamment, ils abritèrent aussi des conférences de presse des diverses factions et troupes en lutte. Dans ces locaux passèrent aussi des représentants de l’ONU et de diverses ONG. Licha signale comment ces hôtels de guerre peuvent souvent donner le sentiment d’une proximité avec les événements sans donner pour autant un accès direct à ceux-ci. L’artiste nous amène donc à remettre en question l’idée d’une image qui existerait sans aucune manipulation ou jeu de représentation de la part des belligérants…
Mais son travail remet aussi directement en question l’idée un peu saugrenue et utopique d’une image pure de la guerre qui ne serait que témoignage, dans laquelle il n’y aurait aucune intervention ou contamination de la part du photographe. Une telle photo sans intrusion physique ou psychologique de celui qui prend l’image — une photographie sans photographe, une vidéo sans vidéaste — ne saurait exister.

Cadre photographique
Le passage le plus passionnant du film Hotel Machine, qui constitue la pièce centrale de cette installation complexe de Licha, est certainement ce moment où on nous explique que bien des images et vidéos emblématiques des conflits qui eurent lieu durant les dernières décennies ont été prises à partir des fenêtres de ces hôtels ! Cela serait le cas entre autres pour cette célèbre scène de renversement de la statue de Saddam Hussein au square Firdos, à Bagdad. Ce déboulonnage, orchestré le 9 avril 2003 par les soldats états-uniens, fut réalisé à proximité de l’hôtel Palestine où logeaient bien des reporters qui ne pouvaient donc pas la rater. Voilà qui changera notre perspective sur le sujet.
J’aurais un seul reproche à faire à cette installation. La salle qui permet de voir le film Hotel Machine — qui dure 64 minutes — ne possède que quelques sièges. Certes, son installation ressemble à un hall d’hôtel. Mais lorsque nous sommes passés, bien des spectateurs étaient allongés au sol… Devant l’horreur de la guerre, l’inconfort du spectateur dans un musée semblera chose bien ridicule. Néanmoins, pourquoi ne pas montrer ce film dans une salle de projection ? Il y a une tendance bien étonnante en art contemporain à présenter des documentaires dans des espaces peu adaptés. Je ne suis pas sûr que ce film gagne à être ainsi installé.