Brouhaha collectif à Québec

«Sanguine Through the Storm», de Robin Moody, à la Chambre blanche
Photo: Source Manif d’art «Sanguine Through the Storm», de Robin Moody, à la Chambre blanche

En choisissant de faire du Musée national des beaux-arts du Québec le lieu central de sa 8e édition, la Manif d’art gagne sans doute en prestige. Mais, du coup, ne perd-elle pas en pertinence ? En occupant jadis un lieu non destiné à l’art, la manifestation s’infiltrait à sa manière dans le paysage de Québec. Son cri résonnait par sa différence. Il y avait événement. Ce n’est peut-être plus le cas.

Excepté le volet art public et les vitrines des boutiques Simons — encore qu’ici ça sente la commandite —, Manif d’art 8 ne fait pas tant que ça dans l’inusité. Le Journal de Québec pouvait bien clamer qu’avec elle, « l’art contemporain se déploiera sous toutes ses formes un peu partout dans la ville », la chose n’est pas nouvelle.

Sur les 12 diffuseurs du volet « en galerie », 10 ne font que céder une case de leur programmation habituelle à la biennale. Le fil est d’ailleurs difficile à suivre, bien que tout soit chapeauté du thème « L’art de la joie ». C’est particulièrement vrai à la coopérative Méduse, qui héberge aussi en février le Mois Multi.

De ce brouhaha créatif et néanmoins salutaire, il en ressort cependant quelques traits. Dont celui de s’exprimer sans limites. Dans l’accumulation d’objets, dans la diversité de couleurs, dans l’accident des actions. La joie artistique est un indispensable exutoire.

L’installation Sanguine Through the Storm, à la Chambre blanche (jusqu’au 4 mars), s’apparente à un laboratoire ou à une salle de jeux, dont les seaux de différentes couleurs sont le principal élément. Robyn Moody, artiste de Calgary, a créé un fantaisiste système de drainage destiné à transformer l’eau, une goutte à la fois, en notes musicales.

Sombres réalités

 

À la manière de Jean-Pierre Gauthier, Robyn Moody mixe matériaux industriels, touches de couleur et programmes informatiques pour nous amener dans un ailleurs fabuleux. Dans son cas, c’est pour échapper à de sombres réalités, ou pour les dénoncer. L’exploitation des ressources plombe la salle d’exposition, notamment par la présence d’une colonne de seaux noirs (les seuls de l’installation) qui sert à faire remonter l’eau. Impossible de ne pas y voir un pipeline.

Un laboratoire fort en couleurs a aussi été installé au Lieu (jusqu’au 12 mars), avec l’expérimenté et expérimental Français Joël Hubaut. Un labo, ou un bric-à-brac tellement les objets rassemblés (bibelots, mobilier, ustensiles de cuisine, boîtes…) s’y retrouvent sans raison apparente. À l’instar du titre farfelu de cette installation in situ : HUB / HUB 2017 (agencement contexturie vive).

Photo: Marc Domage Joël Hubaut, «Éclat épidémik des avatars contagieux atomisés dans leurs miroitements éparpillés (ou EEDACTDLME)», 2015

L’hybridité est un trait de la création de cet ami de longue date du Lieu. Et pour cette nouvelle apparition à Québec, Hubaut joue au véritable alchimiste. Il a créé ses propres couleurs, sur place et avec des produits naturels (betterave, chou, curcuma…). Pots et pinceaux ont été laissés sur les lieux pour que les visiteurs s’éclatent à leur tour en coloriant des figures animales dessinées sur les murs.

Organisée et minutieusement planifiée, cette oeuvre participative n’appelle pas moins le chaos. Celui d’un potentiel effondrement : la structure repose sur de maigres pattes, une pile d’assiettes, une cassette VHS, un pot… Pour le moment, ça tient, la collectivité forme un tout, mais une simple révolte met tout ça à terre.

À L’oeil de poisson (jusqu’au 19 mars), la révolte prend déjà forme, pour autant que chacun des visiteurs ose poser un geste. La structure suspendue au coeur de l’installation Work no 101 : On air, du collectif français None Futbol Club, est destinée à finir en morceaux. Un simple jeu de balancier, à être actionné par le public, amène sa destruction progressive.

La structure en question n’est pas banale : elle est composée de dix télévisions, branchées sur les réseaux d’information continue de partout dans le monde. Il s’agit ici d’un commentaire direct et assassin sur la banalisation du rôle des médias. Tous disent et répètent la même chose, aux gens de se révolter. C’est une critique souvent entendue, c’est le processus enclenché qui fait la raison (et le bonheur) de cette oeuvre.

Notre collaborateur a séjourné à Québec à l’invitation de Manif d’art, la Biennale de Québec et du Mois Multi.

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