Proximités matérielles

Les pratiques artistiques de Jérôme Bouchard, de Myriam Dion et de Dong-Kyoon Nam n’ont en apparence aucun lien. La présentation simultanée de leurs expositions individuelles dans trois espaces du Belgo, rue Sainte-Catherine Ouest, permet cependant de constater le contraire.
Soutenu par les galeristes Roger Bellemare et Christian Lambert, le premier propose des tableaux monochromes qui frôlent l’invisible. À partir d’assemblages de journaux, la seconde obtient des dessins et des motifs presque décoratifs, à l’honneur à Arprim. Enfin, le troisième, exposé à Circa, s’attaque à la technologie en rendant non fonctionnels des objets domestiques.
Il y a chez ces trois artistes un point commun quant au processus de création. Associés à la peinture, au collage ou à la sculpture, ils suivent tous un minutieux travail de la main (du doigt, pratiquement) qui s’apparente à un acte de destruction.
Bien avant de construire quelque chose, bien avant d’aboutir à une oeuvre potentiellement présentable, Bouchard, Dion et Nam retirent des éléments d’un tout. Soustraire et désorganiser est leur première, voire leur principale action.
Jérôme Bouchard n’est pas un peintre habituel. Au pinceau, il préfère un outil coupant qui lui permet d’arracher et de décoller de petits bouts de surfaces préalablement peintes, souvent en plusieurs couches. Le résultat place l’artiste dans la lignée des grands minimalistes, et plus particulièrement dans celle du Fernand Leduc des Microchromies pour la subtile nuance des tonalités.
La série de tableaux qu’il expose chez Roger Bellemare et Christian Lambert s’intitule Près des lignes. Le titre évoque certes sa manière de faire, obligé qu’il est de se coller à la toile. Il concerne aussi l’origine de ses surfaces, soit des dessins reproduisant les frontières entre le Canada et les États-Unis. Ce sont ces lignes que l’artiste tente de retrouver et de découper.
Le titre, enfin, fait référence à l’attitude à adopter devant ces oeuvres. Certes, on peut se contenter de les observer de loin. Mais chaque oeuvre de Près des lignes gagne à être scrutée le nez collé dessus. L’apparente similarité de l’ensemble cache en effet de multiples individualités.
Depuis cinq ans qu’il peint ainsi, Jérôme Bouchard a peut-être atteint avec cette expo le sommet de son processus. Une oeuvre isolée laisse entrevoir une nouvelle avenue, portée par un motif qui se détache d’un fond.
Rehausser et magnifier
Avant de procéder à ses collages de journaux, Myriam Dion les découpe, les altère par de petits orifices. Son travail a aussi à voir avec la répétition d’un geste. Il se traduit chez elle par l’apparition de motifs variés, souvent fleuris.
Dans l’expo Accessoires décoratifs, la composition finale flirte avec des tableaux narratifs, quelque part entre la nature morte et la scène domestique. S’attarder trop à cette belle image ferait oublier le travail derrière elle. Tout repose sur l’agencement des papiers, sur leur, disons, compréhension : la touche chromatique des oeuvres n’est pas un ajout, elle correspond à celle déjà imprimée sur le journal.
Comme Jérôme Bouchard, Myriam Dion rehausse et magnifie des caractéristiques de sa matière. Elle ne fait pas que la détruire. Ce n’est pas sans raison si le dos des panneaux a été laissé à la vue des visiteurs.
Deuxième vie
Cette même attitude, cet identique respect pour l’objet, se retrouve chez Dong-Kyoon Nam. Or, dans l’exposition Recycled Sensations, on croit d’abord assister à une mise à mort d’appareils de toutes sortes. À peine reconnaissables (un ordinateur ici, un projecteur là), ils reposent au sol, victimes d’une explosion (de rage, sans doute).
C’est tout le contraire : décortiquées, désassemblées pièce par pièce, les machines ont été réorganisées selon un autre plan. Tel un casse-tête, chaque morceau est placé avec grand soin, en relation soit avec ses semblables, soit avec d’autres.
Si, dans le concept « recyclé », il y a l’idée d’une deuxième vie, avec Nam, il est aussi question de nouvelle approche, de nouveau regard. Démembrés, ses objets ne valent pas pour le service qu’ils peuvent rendre, mais bien pour ce qu’ils représentent, terre à terre : un réseau de petites choses, appelées à travailler ensemble. Ils en deviennent des métaphores d’un corps vivant, d’une collectivité. L’art technologique n’aura jamais été aussi humain.
Notez que les expos de Myriam Dion et de Dong-Kyoon Nam se terminent ce samedi.