Pour la liberté de création

Couverture de la revue «Le Nigog» conçue par Ozias Leduc
Photo: Félix Chartré-Lefebvre, Centre d’exposition de l’Université de Montréal Couverture de la revue «Le Nigog» conçue par Ozias Leduc

Le manifeste Refus global de 1948 et les artistes issus de l’automatisme ont, malheureusement, éclipsé plusieurs pans de la culture au Québec. Et ce, autant dans l’imaginaire collectif que dans nos musées au pays, que cela soit dans la présentation des collections permanentes ou dans la sélection des sujets pour les expositions temporaires…

Il ne s’agit pas de remettre en question l’importance de ce mouvement, mais de prendre conscience, entre autres choses, que l’histoire culturelle du Québec fut effervescente avant les années 1940. Récemment, l’expo sur le Groupe de Beaver Hall au Musée des beaux-arts de Montréal permettait à des chercheurs de faire le point sur un mouvement majeur dans la métropole du Canada dans les années 1920. Ces jours-ci, une expo au Centre d’exposition de l’Université de Montréal permettra de revenir sur un autre moment passionnant de la culture d’ici.

Une revue d’art moderne

1918. La guerre tire à sa fin. Ça sera la dernière. C’est en tout cas ce que disent bien des gens… Un groupe d’artistes et d’intellectuels va lancer une revue d’art et entreprendre un débat culturel. Cette revue fut créée par le musicien Léo-Pol Morin, l’architecte Fernand Préfontaine et le romancier Robert Larocque de Roquebrune. Son titre trouve son origine dans la culture amérindienne, le mot nigog (ou nigogue) y servant à désigner un outil en forme de trident permettant de darder le poisson. Un symbole humoristique et peut-être caustique du travail critique… Dès janvier, la revue paraît. Il y aura douze numéros de ce mensuel, l’aventure s’achevant en décembre de la même année. Dans le premier numéro, les fondateurs expliquent que cette revue tente « une réunion des esprits cultivés et de diffuser des idées artistiques dégagées de l’ignorance et de la niaiserie ». Tout un programme, qui ne plaira pas à tous.

La revue Le Nigog défendra des positions artistiques hors normes, dont celle de la victoire de la forme sur le contenu. Comme l’écrit Préfontaine dans un article de février 1918 : « Le sujet ou anecdote dans une oeuvre d’art n’a qu’une importance bien relative […]. Le sujet ne doit en aucun cas dominer les autres qualités, car l’oeuvre d’art deviendrait alors une chose d’intérêt bien passager et sortirait du domaine de l’art. » C’était alors une manière de célébrer la liberté créatrice, la subjectivité de l’acte créateur et de s’en prendre à l’instrumentalisation de l’art par l’Église et l’État. Préfontaine prétend même que ce sont les moins bons artistes qui ont mis en avant leur sujet, « incapables de suggérer aucune impression d’art » autrement. Cette revue s’en prit aussi beaucoup à une montée des thèmes nationalistes, régionalistes, liés au terroir et au catholicisme.

De plus, les auteurs y dénonceront une certaine indifférence du public francophone envers les arts, alors qu’il leur semble qu’ailleurs — c’est-à-dire en France — la culture a droit de cité. Édouard Montpetit, dans l’article « L’art nécessaire », écrit ceci : « L’oeuvre d’art est une richesse, une source dont plusieurs pays tirent d’abondants revenus. Mais l’art est infiniment mieux qu’un article de commerce. L’art révèle, l’art atteste, l’art est un élément national, une nécessité très haute. Sur son art, on juge un pays. »

Une revue qui appuiera des artistes importants comme James Wilson Morrice, Adrien Hébert, Henri Hébert, Alfred Laliberté, John Lyman… De ce dernier, vous pourrez d’ailleurs voir dans l’exposition son sublime autoportrait de 1918 dont les couleurs éclatantes choquèrent. Même le critique Préfontaine, dans Le Nigog, les trouva « désagréables ». Plus de 20 ans après le pointillisme, dont la palette n’était pas toujours sobre, plus de 10 ans après le fauvisme, un usage plus strident de la couleur pouvait encore choquer un public averti…

Cette exposition sur les arts visuels a circulé au Québec depuis 2014 et a été présentée au Musée national des beaux-arts du Québec jusqu’au début de 2015. Elle fut enrichie par l’équipe de l’Université de Montréal, passant de 50 objets à plus de 130, augmentée par des documents et oeuvres sur la musique, l’architecture et la littérature. Elle se révèle d’une grande richesse.

Signalons que le 22 septembre aura lieu une journée d’étude sur Le Nigog organisée par la professeure Marie-Thérèse Lefebvre de l’Université de Montréal. Pour tout renseignement supplémentaire, on peut se rendre au www.crilcq.org.

Pour valoriser les arts au Québec : La revue Le Nigog, 1918

Centre d’exposition de l’Université de Montréal jusqu’au 2 octobre.

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