Mise en scène posthume

C’est la première rétrospective de l’œuvre de l’artiste à travers un parcours organisé autour de thèmes récurrents dans sa pratique.
Photo: Paul Litherland C’est la première rétrospective de l’œuvre de l’artiste à travers un parcours organisé autour de thèmes récurrents dans sa pratique.

Comme Jim Morrison, comme Janis Joplin ou comme Jimi Hendrix, l’étoile Mathieu Lefèvre (1981-2011) aura filé à toute allure. Parti trop tôt, fauché sur son vélo. Cinq ans après son décès, voici (enfin !) l’hommage de la rétrospective, la grande rétrospective, celle qui embrasse toute une carrière (avec plus de 70 oeuvres) et qui va même au-delà d’elle.

L’exposition Make It Big n’en est pas une du Musée d’art contemporain, un établissement pris dans d’autres sphères, bien qu’il vibre lui aussi par les temps qui courent dans la célébration posthume (celle d’Edmund Alleyn). Lefèvre n’aurait pas démérité l’honneur d’un musée, mais quelque part il devait retentir auprès des siens — ses pairs —, et notamment du centre Clark, duquel il aura été membre. C’est donc tout naturellement dans ce pôle du Mile-End que se tient l’expo.

Peintre jusqu’au bout, même lorsque son oeuvre prend une troisième dimension, vidéaste à l’occasion, Mathieu Lefèvre aura marqué par son irrévérence et sa manière brutale de dire les choses, de mettre en question l’art, son histoire, ses figures, ses acteurs, son système. Avec humour et dérision, il va sans dire, et des pointes scatologiques, d’autres narcissiques, mais toujours porté par un esprit bon-enfant, au point d’imaginer un piège à collectionneurs et critiques — l’installation Art Lovers Trapp.

Son application de la matière n’est pas étrangère à l’envolée de son propos : empâtements excessifs, ou entassements en amas, comme une montagne de peinture, et souvent sous une pluie de couleurs. Le geste respire la rage, celle qui interpelle, provoque, s’impose.

Photo: Paul Litherland L’exposition «Make It Big» mise sur la prolifique production du diplômé de l’UQAM.

De l’importance des mots

Le parcours proposé à Clark par un trio de commissaires (le collègue Nicolas Mavrikakis et les « clarkiennes » Roxanne Arsenault et Manon Tourigny) mise sur la prolifique production de ce diplômé de l’UQAM. Des tableaux, il y en a partout, y compris au sol (Not Welcome, 2011, en forme de tapis taché de boue), et même entre deux murs. On a réservé à l’ami les « salle [sic] 1 2 + tout Clark », une chose plutôt rare.

Un parcours, disions-nous : la mise en espace prend en effet la forme d’un long corridor, s’appuyant sur des parois temporaires, ce qui favorise une présentation par sections. Le fil rouge de l’ensemble, outre cette matière très volumineuse, tient dans l’importance que donnait Mathieu Lefèvre aux mots. Déjà, dans leur fonction de titre, ils ne sont pas innocents. Peints sur la toile, ils sont à la fois le sujet du tableau et sa porte d’entrée. Ils ont un rôle de slogan, comme s’il s’agissait de vendre un produit, une marque, un mode de vie.

De History of Painting (2009), masse volumétrique en forme de bible, à More or Less (2010), un canevas à peine couvert d’une couche de gesso et à travers lequel on finit par lire le « Less is more » de Mies van de Rohe, la peinture de Lefèvre s’affiche en regard d’un lourd héritage à porter. Ce n’est jamais clair si Lefèvre s’en moquait ou pas, reste que sa réflexion sur un système dominé par la gloire fait mouche.

Empreint d’émotivité, l’expo s’appuie sur la pratique d’un artiste conscient de sa fragilité, voire de sa mort. N’a-t-il pas pensé à la propre représentation de sa tombe — The Grave (2011) — ainsi qu’à un testament très réaliste, sur papier, où il lègue ses oeuvres au « Musée d’art contemporain de Montréal » (tiens, donc) ? C’est un jeu et ça ne l’est pas. Ou ça ne l’est plus, car voilà le document exposé à côté de son urne (la vraie).

Toute l’expo prend des airs de mise en scène, à l’image du personnage qui se terrait derrière des tableaux aux titres incisifs tels que More Shit on Walls (2010) ou I Don’t Get It (2008). La mise en scène des commissaires s’ouvre et se ferme d’ailleurs avec deux moments intensément surréels, ou surnaturels.

Le premier cas est à expérimenter dans la cabane suspendue, de manière permanente, dans le hall de Clark. Les visiteurs ont droit là à la vidéo qui retrace la rencontre des commissaires, par l’intermédiaire d’un médium, avec l’esprit du défunt. Le titre de l’expo leur aura été soufflé à cette occasion, directement de l’au-delà.

Le second moment se déroule dans la dernière salle, transformée pour l’occasion dans l’atelier de l’artiste, tel que découvert après sa mort. Oeuvres, documents, ainsi qu’une image très grand format, une photographie des lieux, donnent l’impression de frôler l’intimité de l’artiste. C’est un peu excessif, mais ce petit théâtre tient davantage du respect que du voyeurisme.

Deux livres pour se souvenir

La carrière posthume de Mathieu Lefèvre ne s’arrête pas à l’exposition. Ses amis, « clarkiens » ou pas, avec le soutien de la famille, publieront deux livres, l’un de type biographie non autorisée, Fever for Everrr, avec moult anecdotes et souvenirs, l’autre de l’ordre du recueil d’inédits, composé de dessins et de notes de l’artiste. L’expo est aussi l’occasion de lancer à Montréal I Don’t Understand Art About Art, un livre élaboré par les parents de Mathieu Lefèvre et publié dans son Alberta natale.

Make It Big (rétrospective)

De Mathieu Lefèvre. Au Centre Clark jusqu’au 18 juin.



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