Entre mer et monde (de l’art)

La plus récente exposition du jeune artiste Philippe Caron Lefebvre est celle qui s’approche le plus de l’installation immersive.
Photo: Paul Litherland La plus récente exposition du jeune artiste Philippe Caron Lefebvre est celle qui s’approche le plus de l’installation immersive.

Philippe Caron Lefebvre est un artiste de l’objet. Il enfabrique, les déforme, les détourne. Il les contourne aussi, à force d’en faire des choses à l’identité et à la fonction indéterminées. Le diplômé de l’Université Concordia fonde sa pratique sur l’étrangeté. Sur un exotisme propre à la nature, notamment la flore et ses métamorphoses, mais un exotisme intrinsèque aussi à l’évolution de la culture et du bon goût. Le statut artistique est nécessairement remis en question.

Si les expositions de ce jeune artiste prolifique — six solos depuis 2014 et d’autres attendus ce printemps — misent souvent sur un étalage de sculptures (et parfois de dessins) aussi autonomes qu’ambiguës, sa plus récente est celle qui s’approche le plus de l’installation immersive.

La position de l’apex, qui a cours à Optica, un des centres d’artistes du Pôle de Gaspé, se présente comme un tout finement lié davantage que comme la somme de morceaux épars. Le contexte a pris de l’importance.

On visite ainsi l’expo La position de l’apex comme on plonge dans les abîmes d’un océan. À un détail près : la lumière de la salle d’Optica occupée par Caron Lefebvre est des plus éclatantes, loin de l’idée sombre et ténébreuse que l’on peut se faire des profondeurs maritimes.

L’éclairage n’a pas été exagéré. Même qu’il serait identique à celui de chaque expo. C’est la blancheur des surfaces, privilégiée par l’artiste à toute autre couleur, qui fait effet. Elle imbibe le visiteur, comme l’eau transforme un nageur, et permet à l’ensemble des choses d’obtenir une teinte uniforme et équitable. Si chaque élément a ses traits, ceux-ci proviennent d’une même famille.

Effet double

 

Signalons aussi que les quatre murs de la salle ont été recouverts de clous, disposés à égale distance, de manière très régulière. L’effet est double : celui d’une immense grille et celui d’une sensation de mouvement, éclairage aidant, comme si le point de fuite changeait sans cesse. Le courant est fort, comme dans les fonds marins, mais finit par révéler des coquillages et autres beautés de la nature (des papiers pliés, en réalité).

L’impression de visiter La position de l’apex comme une mer découle d’abord de cette mise en scène, à la fois subtile et palpable. Impossible de ne pas être ébloui, impossible de ne pas voir les clous. Après, il s’agit de se laisser submerger.

Les sculptures, aux airs d’épaves ou d’animaux morts sur lesquels se greffent des fleurs aux couleurs vives, semblent flotter au coeur de cet immense espace d’eau. Un titre, Cétacé fantôme, insiste sur la référence maritime. Sur les murs, une ou deux coupures de presse, tirées de reportages sur le monde aquatique, y contribuent aussi.

Philippe Caron Lefebvre travaille avec des matériaux industriels (la mousse polyuréthane, par exemple) et des artifices vendus comme marchandises (des fleurs en plastique). L’expo, vaste installation composée de sculptures-assemblages, de mosaïques murales, ainsi que de quelques papiers-collages, navigue dans un incessant entre-deux. L’artisanal et le préfabriqué, l’organisé et le hasardeux, l’inventé et le tel quel.

Dans le contexte de l’art contemporain, l’artiste pose, une fois de plus, la question sur le réel statut des choses. Or, non sans humour, il nous laisse le soin d’y répondre. Dans ses collages, il associe, à la manière du mimétisme chez les animaux qui changent de couleur, une oeuvre dite d’art à un arbuste aquatique. Lequel prime l’autre ?

La position de l’apex

De Philippe Caron Lefebvre. À Optica, centre d’art contemporain (5445, avenue de Gaspé, espace 106), jusqu’au 19 mars.

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