Première expo dans un musée pour clore un cycle

Raphaëlle de Groot, «Rencontres au sommet», vue de l’installation à la Southern Alberta Art Gallery, Lethbridge (SAAG), 2014
Photo: Rod Leland et Raphaëlle de Groot Raphaëlle de Groot, «Rencontres au sommet», vue de l’installation à la Southern Alberta Art Gallery, Lethbridge (SAAG), 2014
Depuis 20 ans, Raphaëlle de Groot dresse des portraits de société à travers des oeuvres nées dans la pratique de la collecte. Empreintes digitales, poussière, dessins à l’aveugle… Pour sa première expo individuelle en musée, l’artiste livre le résultat d’un travail de longue haleine autour d’objets désuets. Elle les a accumulés, les a transportés, les a protégés. Voilà qu’elle les invite à se parler entre eux, le temps d’un sommet.
 

Fin de cycle. L’expression prend tout son sens au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ). L’établissement entamera en effet, à l’arrivée de l’été, une ère plus urbaine avec l’inauguration sur Grande Allée d’un pavillon tout neuf, moins ancré dans le parc des Champs-de-Bataille.

L’honneur de clore le champêtre épisode revient à l’artiste Raphaëlle de Groot. Que d’à-propos : la Montréalaise se trouve aussi en fin de cycle. Premier solo dans un musée pour la jeune quarantenaire, l’exposition Rencontres au sommet, qui sera inaugurée en cette première semaine de février, met un terme à une aventure amorcée il y a six ans.

D’abord intitulé Le poids des objets, exercice basé sur la collecte d’effets recueillis auprès d’inconnus en Europe et en Amérique, le projet a pris plusieurs formes (résidence, action, exposition) jusqu’à ces Rencontres au sommet, simulation d’une assemblée politique. L’expo réunit 400 objets, reçus entre 2009 et 2012 des mains de 174 donateurs, ainsi qu’une cinquantaine d’autres tirés des collections de six musées, dont le MNBAQ et le Musée de la civilisation, les deux de Québec.

« Les gens pourront trouver ça chaotique. Ce sera normal, admet l’artiste, parce qu’il y a de tout et n’importe quoi, comme dans un marché aux puces. »

Surtout des choses banales, en fait. Raphaëlle de Groot a cherché l’objet délaissé et sans utilité, et pourtant conservé. Elle a par exemple obtenu un téléphone à cadran, dont le propriétaire n’arrivait pas à s’en libérer parce qu’il lui rappelait la mort de proches.

« Je m’intéresse à ce qui tombe dans les craques. Dans les musées aussi, il y en a », dit la lauréate du prix Sobey 2012. Elle aime travailler « dans le peu noble » parce que « c’est de nous qu’il s’agit ».

Des musées, elle a tiré des morceaux embarrassants, comme cette chaise de bordel conservée au Galt Museum Archives, de Lethbridge, en Alberta. Ou encore la maquette d’une potence utilisée autrefois dans l’ancienne prison qu’occupe aujourd’hui le MNBAQ. Ou des « figurines d’Indiens », plus proches du produit pour touristes que d’une oeuvre d’art inuit. L’expo permet de sonder nos valeurs à travers l’évolution des critères d’acquisition.

La parole à l’objet

Rencontres au sommet a d’abord été présentée à la Southern Alberta Art Gallery, à Lethbridge, puis en Ontario, à la Gallery of Windsor. La version québécoise en sera la dernière. Pour l’ultime chapitre de cette période passée à marcher et à interroger la vie matérielle, Raphaëlle de Groot s’effacera.

« Je ne suis plus le personnage central », dit celle qui a déjà performé, la tête entièrement recouverte de matériaux — notamment à Venise, en marge de la Biennale de 2013. « Ce sont les objets qui se rencontrent. C’est leur conversation [qu’on expose] », précise-t-elle, le plus sérieusement du monde.

Ne la croyez pas folle. C’est elle qui le dit, en riant. Raphaëlle de Groot a joué le jeu de l’anthropomorphisme « jusqu’au bout ». Elle s’est mise à observer le monde à partir de la perspective d’un bibelot, a visité des lieux selon ce que lui dictait le contenu de sa charge. L’installation au musée repose sur un abandon similaire.

« Quel objet parle à quel autre ? Ce n’est pas de l’ordre du visible, convient l’artiste. Mais l’objet n’est pas juste un objet. Il parle du lieu où il a été fabriqué, de celui où il finit. Il est un lieu de transit. »

Raphaëlle de Groot laisse la parole aux choses, mais elle ne pourrait pas ne pas intervenir. Depuis 20 ans, sa pratique prend pied sur de rigoureux protocoles. Ainsi, à compter de la mi-parcours de l’expo, en mars, elle s’appliquera à suivre, devant public, une « série d’instructions » sur la manière d’emballer les objets, et de les déballer.

« Je réfléchis au legs de ce travail. Le remplissage de la caisse devra se faire selon certains comportements, le déballage aussi », dit celle qui voit dans cet exercice une oeuvre performative.

La mort

 

Comment se réconcilier avec la vie matérielle ? Raphaëlle de Groot ne tient pas à donner la clef. Ni à se montrer en exemple, bien qu’elle assume sa propre expérience, elle qui, en processus de déménagement au Brésil, ne garde plus que l’essentiel.

Son assemblée, qui ne sera pas un marché aux puces, rassure-t-elle, permettra néanmoins de réfléchir aux notions de conservation et de consommation. Et elle avertit : l’expo dérangera, malgré son ton coloré et ludique. « Pourquoi expose-t-on des bébelles, des choses qu’on cache habituellement ? C’est une question qui n’est pas réglée », concède Raphaëlle de Groot, consciente que l’histoire de l’art depuis Duchamp n’a pas été digérée par tous.

Le téléphone porteur de mauvaises nouvelles, la maquette d’une potence, un bassin d’hôpital à l’origine d’une contagion… La mort sera un des thèmes de discussion entre les 450 émissaires. En eux, les objets appellent aussi la fin. En devenant donateurs, les gens acceptaient dès lors de tourner une page très personnelle.

Tout est dans tout. L’aventure née avec Le poids des objets se conclura dans une salle où, récemment encore, les visiteurs frôlaient L’hommage à Rosa Luxembourg. La fresque de Riopelle a quitté cette place qui était la sienne depuis l’an 2000 pour un emplacement de choix dans le futur pavillon. La fin d’un cycle suggère heureusement le début d’une nouvelle ère.

Compléments sur l’expo de Groot, au MNBAQ

Une publication étoffée, dirigée par Bernard Lamarche, conservateur de l’art actuel au MNBAQ, présentera différentes facettes du projet auquel met fin Raphaëlle de Groot et en particulier sur sa démarche portée par le thème de la collection et de l’accumulation. Six auteurs, 176 pages, 180 illustrations et un lancement attendu le 16 mars.
Lecture, conférence, projection d’un court métrage, performance et résidence de l’artiste en salle marqueront l’exposition au cours de semaines. À surveiller dès le 9 mars.

Les gens pourront trouver ça chaotique. Ce sera normal, parce qu’il y a de tout et n’importe quoi, comme dans un marché aux puces.

Rencontres au sommet

Raphaëlle de Groot, au Musée national des beaux-arts du Québec, du 4 février au 17 avril



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