De la peinture sans peinture?

Marie-Claude Bouthillier est encore et toujours fascinée par la peinture, et par son support qui est la toile.
Photo: Caroline Cloutier Marie-Claude Bouthillier est encore et toujours fascinée par la peinture, et par son support qui est la toile.

La peinture a longtemps dominé le domaine des arts. Elle fut l’art par excellence, la référence, le paradigme… Et puis, à partir de la fin des années 1950-1960, étrange phénomène, la peinture n’est plus vraiment l’esthétique normative. D’autres formes d’expressions viennent occuper les devants de la scène : performance, art conceptuel, land art, art minimaliste, art multimédia, vidéo d’art… Pour la théoricienne de l’art Rosalind Krauss, ce serait même la photo — ou plus exactement le photographique —, qui a redéfini l’art actuel, imposant aux autres arts ses préceptes. Pourtant, pour bien des artistes contemporains, c’est encore la peinture qui hante avec force les arts visuels.

Et c’est le cas de l’artiste Marie-Claude Bouthillier.

Cela pourrait étonner plusieurs visiteurs de sa plus récente exposition à la galerie Circa. Ce visiteur pourra croire qu’il y a peu de peinture exhibée en ces lieux. En effet, on franchira le seuil de cette expo en contournant une série de petites maisons de plâtre déposées sur le sol. Et puis, juste après, on passera à côté d’une grille faite en bois de chêne, qui rappellera entre autres la sculpture minimaliste. Plus loin, c’est aussi la sculpture et l’installation qui semblent être les moyens d’expression choisis par l’artiste. Ici, dans l’oeuvre intitulée L’habit, encore un motif de grille, cette fois sur un mur, qui semble être constitué de cuir, où se trouve une référence aux constructions du postminimalisme et à ses formes plus organiques qui déconstruisaient l’ordre moderne. Là, dans la pièce adjacente, une fontaine et une sorte d’autel, intitulé Crèche, qui évoque le travail installatif de Serge Murphy…

Peinture, es-tu là ?

Il n’y aurait donc pas vraiment de peinture dans la plus récente oeuvre de Bouthillier ? Pas si sûr.

En premier lieu, il faut dire que la peinture s’amuse ici à être partout sans pour autant se laisser voir à chaque coup. La peinture se fait mystère. Un exemple : cette grille qui semblait faite de cuir est en fait composée d’acrylique sur une toile qui a été texturée, pliée, repliée par l’artiste afin de créer des textures inusitées qui dépassent la question de l’illusion ou du trompe-l’oeil et nous amènent plus vers un art de l’étrangeté fascinante… Mais il y a plus que cela.

Même quand la peinture semble avoir disparu complètement, elle est encore là. Elle s’est comme infiltrée partout, dans tous les moyens d’expression. Elle s’est camouflée dans les diverses pratiques, mais aussi dans l’imaginaire artistique et collectif. C’est ce que Bouthillier semble nous dire à propos de ces plus récentes oeuvres, mais aussi à propos de l’art contemporain en général. La peinture revêt presque un côté sacré. C’est d’ailleurs certainement une des clés de cette exposition où s’expriment plusieurs références au religieux. Visages de femmes voilées dans les Trois Soeurs, mais aussi dans l’imposante structure de Vierge ouvrante — La cellule. Cette cellule, qui, elle-même, dans sa totalité, est comme un immense voile englobant une structure d’acier, fait penser à un lit qui pourrait être celui placé dans un musée religieux ou bâti pour servir de reliquaire. Bouthillier est encore et toujours fascinée par la peinture, et ici en particulier par son support qui est la toile. Et de cette transfiguration de ce simple tissu en matériau presque magique, qui est au coeur de cette expo.

Comme Bouthillier nous l’a expliqué, lorsqu’elle a un projet, elle a besoin de trouver un objet qui va lui servir de support, de métaphore pour sa réflexion sur la peinture. Et dans le cas de cette exposition, c’est le couvent, avec ses grilles d’entrée, ses voiles, son jardin, qui a été la métaphore pour discuter de la peinture. Cet espace du couvent, revisité, approprié par l’artiste, lui a permis de réfléchir à l’idée de la grille — motif pictural moderne par excellence — pour pouvoir aller plus loin, pour parler d’espaces intérieurs et d’intériorité. Dans son cheminement introspectif, il y a en effet dans le sentiment religieux des similitudes avec la peinture.

Voici donc une expo sur l’incarnation de la peinture.

Voeux

De Marie-Claude Bouthillier. Au centre Circa jusqu’au 27 février

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