L’espoir dans la relève, la honte en art public

Quelque 125 000 visiteurs sont passés par le Musée d'art contemporain de Montréal pour voir les oeuvres de David Altmejd.
Photo: Source James Ewing Quelque 125 000 visiteurs sont passés par le Musée d'art contemporain de Montréal pour voir les oeuvres de David Altmejd.

En six états d’âme, voici un survol de l’année en arts visuels.

La honte. Que ressentir d’autre quand les maires des deux grandes villes du Québec manquent du même jugement à l’égard d’oeuvres dans l’espace public ? Presque simultanément, les administrations Labeaume et Coderre se sont montrées non seulement sévères envers l’art public, mais incapables de dialoguer avec le passé. Les oeuvres historiques ne plaisent pas ? Détruisons-les ! C’est le sort qui attendait en juin la mal nommée Dialogue avec l’histoire, sculpture du Français Jean-Pierre Raynaud, installée depuis 1987 dans le Vieux-Québec. Et c’est le nuage qui a menacé tout l’été l’ensemble architectural et sculptural de Charles Daudelin, situé au square Viger et érigé lui aussi dans les années 1980. Si ce dernier a finalement été en partie sauvé, rien n’a été dit au sujet du reste du square Viger, où reposent des traces du travail de Peter Gnass et Claude Théberge.

La crainte. Quand la politique se mêle d’art, il y a risque de dérapage idéologique. Deux cas l’ont rappelé cette année. Fin février, l’exposition Art souterrain s’apprêtait à être inaugurée lorsque des artistes ont appelé à son boycottage. Faire un événement sur le thème de la sécurité, avec le soutien financier d’Israël, était déplacé. C’est de l’argent, accusait-on, teinté de partialité sur la question du conflit au Moyen-Orient. À l’automne, pendant la campagne électorale fédérale, les règlements de comptes idéologiques de Stephen Harper ont été la cible du milieu artistique. L’exposition Monuments aux victimes de la liberté, au centre AXE-NÉO7 de Gatineau, a en effet répondu, par une multitude de gifles, au Monument aux victimes du communisme que le gouvernement Harper comptait ériger à Ottawa. Harper désormais disparu, le monument sera réévalué, sans que l’on sache encore jusqu’à quel point.

Le plaisir. Celui de constater la métamorphose réussie du Musée d’art de Joliette (MAJ). Bunker hier, édifice vitré aujourd’hui, tourné vers la rivière L’Assomption. Restauré de fond en comble, réorganisé plutôt qu’agrandi — la superficie pour les expositions est la même — le nouveau MAJ n’a pas perdu son âme. Il est toujours le petit musée qui peut faire de grandes choses, comme l’expo inaugurale consacrée à Geneviève Cadieux. Joliette n’a rien à jalouser, même si de nouveaux gros pavillons de musée sont attendus en 2016 (en février, celui du Musée national des beaux-arts du Québec, en novembre, celui du Musée des beaux-arts de Montréal). Le MAJ termine néanmoins l’année sur une note amère, avec le départ annoncé en décembre de sa directrice, Annie Gauthier.

L’étonnement Altmejd-Rodin. Rarement aura-t-on vu deux expositions se répondre aussi bien que celles tenues pendant l’été au Musée d’art contemporain et au Musée des beaux-arts. La première saluait le travail de David Altmejd, figure de proue à l’international de l’art actuel québécois. La seconde replongeait dans l’atelier d’Auguste Rodin, mort il y a près d’un siècle. Le corps et sa métamorphose, la matière et sa malléabilité, la sculpture et sa multiplicité… Il y avait plus d’une raison pour voir Altmejd et Rodin comme de proches parents. À noter que les deux expos ont été de francs succès populaires, 125 000 visiteurs pour celle de l’artiste des loups-garous, 200 000 pour celle du père du Penseur.

Le deuil. Si, chaque année, des lieux de création font leur apparition, d’autres disparaissent ou annoncent leur disparition imminente. L’automne 2015 aura scellé le sort de la petite galerie Les Territoires, petit centre voué aux artistes de la relève et enraciné depuis 2008 dans l’édifice Belgo au centre-ville. L’entité Graff, scindée entre un centre de production en estampes et une galerie privée, a, de son côté, annoncé la fermeture dans les prochains mois des locaux de la rue Rachel, après plus de 30 ans d’activités. Les Territoires, la Galerie Graff et l’Atelier Graff n’appellent cependant pas au deuil permanent : chacun promet de réapparaître ailleurs en ville.

L’espoir. Il se déploie à travers trois nouveaux noms : Shanie Tomassini, Steve Giasson, Caroline Mauxion. La première, qui a eu son premier solo en janvier (aux Territoires), sculpte la précarité à travers une étonnante exploration des matières et de notre environnement. Le second, auteur de projets de longue haleine, est depuis l’été en haut de l’affiche du centre Dare-Dare avec sa série de Performances invisibles, une manière pleine d’audace pour s’inscrire à la fois dans le paysage urbain et dans la sphère virtuelle. La troisième, invitée en août à la galerie Simon Blais en tant que lauréate 2015 du prix Sylvie-et- Simon-Blais pour la relève en arts visuels, s’affirme comme une hardie photographe, qui cumule les prises de vue et des images d’un blanc admirable.

À voir en vidéo