Boucles temporelles et mutations en trois tons au MAC

Trois noms, trois expositions. Avec sa nouvelle programmation faite encore de solos, le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) conforte une approche par nom propre qui met l’accent sur des parcours individuels. Les univers de Patrick Bernatchez, de Camille Henrot et de Dana Schutz n’ont aux premiers abords rien en commun, mais le musée tend à en faire un tout cohérent autour des thèmes des origines et de la métamorphose que, au demeurant, vient souligner Spiral (1983) de Tony Cragg.
L’oeuvre de la collection, qui, de mémoire, n’avait pas été sortie depuis Artcité — l’exposition déployée dans Montréal et ses édifices en 2001 —, surgit dans le parcours, entre Henrot et Bernatchez. De part et d’autre, il y a le motif de la boucle auquel la sculpture fait écho, une transition qui a toutefois des airs de remplissage. Puis, l’espace occupé par l’installation vidéo de Henrot semble inutilement vaste, une désagréable impression cependant vite chassée par le plaisir de (re)voir l’oeuvre. Grosse fatigue, primée Lion d’argent à la Biennale de Venise en 2013, construit un récit entraînant sur l’origine de l’univers, truffé de références aux mythes et à la science, déployé depuis l’écran d’un ordinateur en de multiples fenêtres.
Il y a aussi cette autre impression moins heureuse que l’enfilade de toiles de Schutz aurait pu être resserrée, ou la présentation d’un tel corpus réfléchi autrement que par le truchement de la rétrospective de 15 ans. Non pas que le travail de cette peintre brooklynoise manque de pertinence, mais parce que des expositions de galerie universitaire ou muséale nous ont depuis habitués à des formules plus stimulantes pour la recherche et plus audacieuses en un sens, des expos de groupe par exemple mettant en relation des générations ou des provenances variées, repoussant ainsi les clichés du génie individuel et du succès de marché toujours plus spontanément associés à la peinture.
Car il s’agit en effet de cela avec la figure de Dana Schutz, qui est qualifiée de « véritable coqueluche », et dont les oeuvres présentées proviennent de collections particulières, hormis de rares exceptions. N’en demeure pas moins que cette peinture s’impose sur les cimaises par la hardiesse des compositions et la vigueur de sa palette. Dans une veine expressionniste, elle multiplie les allusions au cubisme et au pop, donnant à voir des portraits et des scènes du quotidien volontairement crus et grotesques. Plusieurs des personnages féminins représentés contrarient les normes, ouvrant sur des possibilités d’affranchissement que l’artiste elle-même engendre en occupant le créneau d’une tradition en peinture écrite majoritairement au masculin et qui, force est de croire, persiste toutefois encore. Ainsi, lit-on, dans le catalogue que le MAC luiréserve, que sa démarche « fait d’elle le peintre le plus novateur […] »…
Patrick Bernatchez
La pièce de résistance de la programmation est l’exposition de Patrick Bernatchez, qui rassemble pour la première fois plusieurs composantes de deux cycles majeurs de production, Chrysalide (2006-2013) et Lost in Time (2009-2015). Révélées au compte-gouttes selon une progression en rhizome, les oeuvres sont aujourd’hui voisinées et situées ensemble, donnant à voir la cohérence et la profondeur de ce travail. Les dessins, les vidéos, les films, les installations, les impressions et les oeuvres sonores traitent des mutations, de la vie et de la mort, et, en somme, du passage du temps, lequel ici est rétif à la linéarité. Le recommencement triomphe sur la fin.
D’où l’omniprésence de la boucle, de la répétition et de la sérialité dans les oeuvres de l’artiste montréalais qui, par la fiction, voire la science-fiction, sont évocatrices d’un monde marqué par le néolibéralisme et les changements climatiques. Les deux cycles ont respectivement pour théâtre l’immeuble industriel « Fashion Plaza » à Montréal et le Nord islandais, cultivant des allusions à ce qui périclite ou à ce qui fond, à l’économie fordiste du textile ou aux glaciers.
Une montre scandera sempiternellement son tic-tac, tenant le désordre à distance, tandis que la musique de Bach, ou encore de Debussy, gravée sur vinyle, se détracte sous l’égide d’opérations elles aussi parfaitement réglées. La partition d’une musique a même été déduite des surfaces éclairées par les ouvrières des étages de l’édifice de béton photographié, la nuit, une fois par mois, pendant un an. La mélopée active un support à bobines de fil, s’évidant pour enserrer le haut-parleur jusqu’à son étouffement.
Le parcours de cette exposition, pris en charge par Lesley Johnstone, est à l’image du travail : d’une impeccable exécution. L’alternance des noirs et des blancs combinée aux oeuvres d’échelles variées dynamisent la mise en espace qui, contrairement à ces lignes, distingue bien les deux ensembles. Le point culminant est le long-métrage Lost in Time (2014), tourné dans un paysage nordique où le blanc fait ressortir la figure d’un cavalier noir avec sa monture, mués par une quête indéfinie que la trame sonore (Murcof) rend sibylline et dramatique. La symbolique est parfois appuyée, nostalgique et romantique, tout en faisant mine de nous entraîner dans une troublante dystopie.
Le complément obligé de cette exposition, coproduite avec le Casino Luxembourg où elle a déjà fait escale, est l’élégante publication, riche en images, mais moins en références bibliographiques. Aurait dû être mentionnée la monographie dirigée par Mélanie Boucher, avec la galerie de l’UQAM, qui amorçait en 2011 l’examen de fond sur cet artiste marquant.