De l’objet à son contexte

« Se rappeler qu’un tableau — avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote — est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » Voilà comment Maurice Denis et bien des peintres modernes ont défini la peinture. Aux XIXe et XXe siècles, l’art moderne fut à la recherche de sa spécificité. Les peintres ne voulurent donc plus copier la littérature, raconter un récit ou illustrer un texte. Ils ne voulurent pas plus créer des illusions de profondeur et de volumes en s’inspirant de la sculpture, de l’architecture, de la perspective linéaire ou atmosphérique… Mais depuis au moins le pop art, les choses ont changé. Les recherches purement formalistes sont minoritaires, la figuration et la narration sont revenues en force… Retour à l’ordre classique ? Pas si simple. Un nouveau modèle domine : pour reprendre les mots du défunt critique d’art René Payant, « l’installation est le nom postmoderne de l’oeuvre d’art ».
Les Apartés (les maximalistes)
Ces jours-ci, une première expo démontre à quel point l’installation, ce genre développé dans les années 60 et 70, est bien vivante. À la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal, trois artistes, Hugo Bergeron, Paul Bourgault et Mathieu Lévesque, ont mis en scène leurs tableaux. Des échos à presque tous les genres picturaux y sont présents, du paysage à la nature morte en passant par le portrait, la peinture historique ou mythologique. L’abstraction s’y trouve aussi déclinée dans ses variations : abstraction géométrique, peinture gestuelle, monochrome… Sont exploités aussi tous les formats, du plus petit au plus grand, et presque toutes les formes de tableaux — carrés, rectangles, losanges, shaped canvases… Même les titres se veulent un genre de répertoire de l’histoire de la peinture. Cela va du titre « Sans titre », aux titres plus descriptifs, poétiques, ironiques… Une expo tel un petit dictionnaire de la peinture. Sur certains murs, ces trois artistes ont présenté ensemble leurs oeuvres en une sorte de mosaïque, mais en fait, le tout se trouve installé autour d’une fausse réserve de tableaux, cordés les uns à côté des autres, enveloppés, leurs images se dérobant à notre regard. Un dictionnaire de l’histoire de la peinture, dans ce qu’elle a de plus hétéroclite, et qui pourrait encore recéler quelques surprises…
Marion Wagschal
Une deuxième exposition démontre comment l’installation peut avoir une force narrative incomparable. La directrice de la Battat Contemporary a effectué une impressionnante sélection d’oeuvres sur papier de Marion Wagschal, artiste dont on peut voir ces jours-ci une brillante, quoiqu’un peu restreinte, expo, bilan de trente oeuvres, au Musée des beaux-arts de Montréal (jusqu’au 9 août). Chez Battat, une centaine d’oeuvres de divers formats ont été installées. Voilà qui permet d’appréhender encore plus justement la richesse de cette démarche qui dialogue ici avec Ensor, là avec Klimt… Comme l’artiste le dit, elle « aime l’idée de juxtaposer, à n’importe quels genres ou styles historiques, quelque chose qui n’y appartient pas — un irritant ». Cette installation mélange aussi des textes, des morceaux de narration à des images. Une oeuvre installée, mais qui dans sa structure même est proche de l’éclatement installatif. Le spectateur devra recomposer une logique autour de ces oeuvres. Des questions sur la mort, la vieillesse, le sens de l’existence lient ces oeuvres entre elles.
Certains trouveront certainement que je suis passéiste avec ce concept postmoderne d’installation. Que dire ? Les bonnes théories survivent aux engouements du moment.