L’été Altmejd

«The Flux and the Puddle» est l’installation phare de l’exposition.
Photo: Guy L’Heureux «The Flux and the Puddle» est l’installation phare de l’exposition.

Gros événement au Musée d’art contemporain de Montréal (MACM) : avec les expositions de David Altmejd et Jon Rafman, la programmation estivale est toute québécoise. Chose rare que les artistes d’ici soient seuls « sous les feux de la rampe », ainsi que l’énonce le communiqué de presse. En dehors des deux éditions de la trop éphémère Triennale québécoise, il faudrait remonter à l’hiver 2009 et à la rétrospective Claude Tousignant pour retracer un MACM aussi local.
 

Céder la case d’été à l’art québécois, ce n’est peut-être pas un pari si risqué. Altmejd et Rafman ont quand même des carrières internationales bien établies, le premier surtout, mais le second aussi, lui qui a davantage exposé ailleurs qu’à Montréal. Qualifier ce coup double de blockbuster serait exagéré, mais dire du MACM qu’il joue les défricheurs le serait autant.

Au-delà de ces considérations, le beau risque du musée dirigé par John Zeppetelli repose dans la cohabitation de la sculpture monumentale de David Altmejd avec les vidéos intimistes de Jon Rafman. A priori, ce sont deux univers bien distincts, l’un porté par la transparence de son dispositif, l’autre par l’opacité de ses sujets. Or, les deux artistes explorent avec minutie des mondes en réseau, proposent des oeuvres composites et narratives, naviguent à la fois dans le vaste et le minuscule, le beau et le laid, l’exaltant et le terrifiant.

Altmejd et sa flaque

 

David Altmejd est le visage de l’art contemporain québécois le plus connu à l’étranger. L’expo Flux est pourtant la première que lui consacre un musée québécois, réalisée en partenariat avec le Musée d’art moderne de la ville de Paris, point de départ de l’aventure à l’automne 2014.

Trente-cinq oeuvres font partie de ce bilan des quinze dernières années. La présentation a très peu de lourdeur chronologique, s’anime de va-et-vient dans les thèmes, les motifs et les matériaux touchés par l’artiste. Elle démarre avec Sarah Altmejd (2003), tête en plâtre dotée de cheveux synthétiques, de fil de fer, de bijoux et d’un imposant trou noir en guise de visage. Ce trou est une métaphore du plein. Il enferme tout le potentiel en devenir, qui éclate à l’autre bout de l’expo, avec l’installation phare, The Flux and the Puddle (2014).

Cette pièce est elle-même un bilan, forte de ses personnages monstres, ses corps éventrés pleins de vies, ses espaces cubiques à la fois clos et ouverts, ses fruits en mouvement et ses innombrables points de vue. The Flux and the Puddle fait l’expo. Des miroirs sur les quatre murs donnent la sensation que l’on fait partie de l’oeuvre ou, à tout le moins, qu’on la visite de l’intérieur. Ce sont les entrailles d’un système qu’on nous donne à voir, tout coagule, comme le titre le dit, vers une flaque, visible au sol. Rien de gore, tout est dans le raffinement de la présentation.

L’expo, dont le commissariat est assuré par la conservatrice du MACM Josée Bélisle, ne prend pas la forme d’un défilé d’oeuvres isolées, plutôt d’arrêts ciblés sur un corpus donné. Si certains sont trop magnifiés (les figures du géant), d’autres trop mis en scène (les interventions murales, à la main, faussement in situ), dans l’ensemble, la présentation fait de la métamorphose, si chère à Altmejd, un motif incontrôlable.

Le geste accidentel et destructeur (les miroirs brisés abondent), la mort, la fin d’un cycle sont chez lui source de renouveau. Tout son travail, tout travail artistique, repose sur ce principe. En épilogue, juste avant de passer à l’autre expo, l’oeuvre de 2014 Son 3 (Relatives) — un personnage suspendu, tête en bas —, donne naissance, par ses ombres, à une nouvelle figure.

Rafman et le virtuel

 

La pratique de défricheur et d’expérimentateur de réalités numériques (Google, Second Life, jeux vidéo) de Jon Rafman donne à son art un fort penchant synthétique. On est loin de la matière travaillée par Altmejd de ses propres mains. Or, Rafman et le conservateur du MACM Mark Lanctôt ont joué d’audace. Les huit projets ont tous une présence bien réelle dans les salles du musée. Vidéos au départ, réalisées depuis 2009, les voilà installations avec un mobilier conçu, dans la plupart des cas, pour un visiteur à la fois.

L’idée de l’artiste est de montrer comment nos sociétés hypertechnologiques nous aliènent et isolent. Au musée, le visiteur joue un double rôle. Qu’il expérimente la réalité virtuelle grâce aux lunettes Oculus Rift ou qu’il se couche dans un lit d’eau pour visionner la vidéo Oh the Humanity, il devient celui qu’on observe observer.

Imprégnés de l’artificialité propre aux univers abordés, les modules cependant apportent bien peu. L’art de Jon Rafman en est essentiellement un de récits filmiques, certains aux images violentes et salaces comme seul Internet peut les archiver. Autonomes, ces vidéos se regardent plus facilement chez soi, seul devant l’ordi. Au MACM, ce serait fort étonnant que l’on ait le temps de saisir tout l’à-propos de chaque oeuvre. Excepté un corpus d’images : les You Are Standing in an Open Field gagnent à être appréciées sur place, notamment parce que ces natures mortes du XXIe siècle, collages de déchets devant un clavier, sont couvertes d’une couche de résine bien concrète. C’est comme la flaque chez Altmejd, une fin en soi.

Expositions

«Flux», de David Altmejd, et Jon Rafman. Au Musée d’art contemporain de Montréal (185, rue Sainte-Catherine Ouest), jusqu’au 13 septembre.

À voir en vidéo