La quête de l’inconnu

Sonder l’insondable, c’est le propre de la pratique de Jean-Pierre Aubé. Ses oeuvres vidéo ou audio, ses images fixes ou ses installations cinétiques découlent d’une inépuisable recherche pour dire bien haut (et avec magnificence) ce que notre monde des télécommunications dit le plus bas possible. C’est lui l’artiste québécois qui était à la Biennale de Venise, au début mai, pour capter les ondes des téléphones cellulaires qui le croisaient. Le voilà à Saint-Hyacinthe, au centre Expression, présent par le biais de projets inspirés par la possibilité que des satellites nous espionnent.
L’exposition Satellites, sans doute sa plus importante à ce jour par le nombre et la diversité d’oeuvres, peut être vue comme une synthèse des résultats de cette quête. Or, elle est davantage que ça, elle ne fait pas que présenter des données et des preuves. Elle montre la bricole, que celle-ci prenne forme d’antenne, de logiciel, de radio. L’expo possède un côté do it yourself fort heureux.
Éclatée, voire disparate, Satellites réunit neuf pièces, bien différentes, réalisées en 2014 et en 2015. Il y a l’oeuvre sonore, Les étoiles artificielles, qui décline le passage d’un satellite au-dessus du centre Expression. Il y a l’installation vidéo, 100 millions d’années après le Big Bang, dont la facture tire à la fois vers la science-fiction (ou le voyage intergalactique) et vers le documentaire en mers arctiques. Bricoleur plus que scientifique, doté d’une passion pour le partage de ses trouvailles, Jean-Pierre Aubé expose aussi des objets, ceux-là mêmes qui lui servent de sondeurs, comme La boîte noire et sa banque d’ordinateurs. Ou d’emmerdeurs, comme le boîtier doté d’une antenne intitulé APO-SAT 0.1 R.-C.B, une sorte de minisatellite qui viendrait brouiller les ondes s’il était mis en orbite.
Du volume et de l’amplitude
Disparate et pourtant fort cohérente, l’expo s’avère être un parcours en plusieurs étapes, dont la mise en espace, soignée, laisse les oeuvres s’imbiber de leurs voisines. Chacune a du volume, de l’amplitude. Rien d’étonnant, le commissaire, André-Louis Paré, directeur de la revue Espace, étant un spécialiste de la sculpture.
L’expo commence, comme il se doit, par une carte du ciel répertoriant les mouvements des satellites. D’un rouge étonnant, sous forme d’un cercle en apparence plein, l’oeuvre Sous surveillance est composée d’une multitude de lignes. Si l’artiste s’est appuyé sur l’outil informatique, laissant planer l’idée de fabrication, il n’en demeure pas moins que cette accumulation de traces relève du travail avec le réel cher à Aubé, lui qui se qualifie de paysagiste.
S’il y a une bonne part de fiction futuriste chez Jean-Pierre Aubé, que ce soit à travers les images de synthèse ou le travail sonore, la variable concrète n’est pas à négliger. Un aspect terre-à-terre qui s’exprime volontiers par la présence de toutes ses machines. Celles-ci demeurent néanmoins dans la sphère de l’utopie spatiale. Là où l’expo surprend, c’est dans la série 11 dessins. L’iconographie n’évacue pas le référent galactique, mais par le simple fait de les avoir coloriés à la main, Jean-Pierre Aubé donne aux dessins toute leur humanité, et un plaisir presque enfantin. Derrière ou avant la technologie, il y a des techniques, un savoir-faire qui commence souvent à l’enfance.
Les dessins ont judicieusement été placés devant la photo Terre de Baffin, une vue panoramique de glaciers. Les deux parlent de la quête exploratoire en contrées lointaines et inaccessibles, rappelant qu’à l’origine des questions d’Aubé, il y a une fascination pour l’inconnu, notamment en ce qui concerne la vie ailleurs que sur la Terre.
En fin de parcours, l’installation Simulation d’un vol orbital s’inscrit dans cette lignée plus ludique, déjà notoire dans les coloriages. Elle consiste en un satellite miniature, fabriqué de toutes pièces par Aubé, avec des matériaux pauvres. L’engin flotte dans les airs, sous un éclairage simulant la coloration du ciel galactique. Ici comme ailleurs, l’artiste rend palpable et concret ce que les scientifiques et une minorité d’êtres humains ont véritablement expérimenté.