Étendard pour la sculpture

Comme toute oeuvre sculpturale, celle qui attend les visiteurs dans la petite salle du centre Circa, au Belgo, a plus d’un côté, se découvre sous plusieurs points de vue, gagne à être expérimentée en tournant autour d’elle. Pourtant, devant cet Essai pratique sur l’usage en général, titre de l’installation et de l’expo de Francis Arguin, on savoure un plaisir fou à rester immobile.
Au-delà de la collection d’objets hétéroclites qui la compose, ou à travers eux, l’oeuvre propose une série de surfaces à contempler. On est presque devant une sculpture en 2D.
Les multiples matériaux que l’artiste a trafiqués prennent appui sur deux grilles en bois, deux grandes structures ouvertes qui servent à la fois d’étagère et de mur, mais aussi de motif. La grille picturale, n’est-ce pas. C’est particulièrement le cas devant un labyrinthe de fils électriques colorés : vu de front, ces serpentins prennent apparence de lignes peintes, dont le mouvement s’articule autour d’un plan carrelé.
Complexe au premier regard, Essai pratique sur l’usage en général est d’une simplicité étonnante. Francis Arguin — prononcez « argui-in » — a disposé ses assemblages ici et là, comme autant de figures de style. Chacun s’avère être un exercice sculptural distinct, une étude sans prétention sur l’équilibre, sur la construction ou son contraire d’une forme, sur la malléabilité des matériaux.
Humour et jeu
Comme souvent chez cet artiste de Québec — mais natif de l’Abitibi —, l’humour et le jeu se trouvent au coeur de l’oeuvre. À l’instar du gobelet pour le café sur lequel s’élève une antenne faite de bâtons en plastique morcelés, les bricolages semblent avoir été conçus sur le coin d’une table.
Connu d’abord pour son travail en performance, Arguin se consacre depuis 2009 presque exclusivement à la sculpture. Au départ, y compris lors de ses actions performatives, il créait, souvent en carton, des pastiches d’objets réels. Il procède aujourd’hui en sens inverse. À la manière de la tradition du ready-made, il part de choses de la réalité (un tiroir de classeur et ses chemises de couleur, un bâton de hockey, une vadrouille) et aboutit à une affaire inusitée, par sa forme et par sa manière de le présenter.
Francis Arguin fait partie d’une nouvelle génération de sculpteurs québécois qui brassent bien des idées reçues. Il était ainsi cité parmi d’autres dans l’édition de l’automne 2014 de la revue Espace, portée sur le thème « Repenser la sculpture ? ». Dans son projet précédent, Constructions discutables (2103), il s’était penché sur les questions du beau et du raisonné. Non sans rire, son « essai pratique » pointe cette fois des notions aussi discutables que celles de l’utilité et du fonctionnel.
Le cynisme chez Arguin, au contraire d’autres, n’est pas explicite. Essai pratique sur l’usage en général, avec ses multiples points de vue, possède plus d’une piste de lecture. Du plan pictural, ode à la création, au bricolage du coin de table, clin d’oeil à l’oisiveté, l’installation fait aussi figure de porte-étendard, notamment par la présence de drapeaux (ou de ce qui en reste). De quel étendard s’agit-il ? Allez savoir, et c’est bien ainsi.
Le centre Circa expose également une autre artiste sur la piste ascendante, Andrée-Anne Dupuis Bourret. Sa sculpture à elle, faite de papier, est l’affaire de l’excès et de la répétition : ses assemblages se déploient dans l’espace comme une matière envahissante, impossible à arrêter. Les groupes scolaires du tout nouveau Musée d’art de Joliette ont le privilège de côtoyer déjà une de ses installations.
D’un projet à l’autre, cependant, malgré quelques nuances sur les motifs du papier, on a quand même l’impression de revoir la même oeuvre. Notons quand même qu’à Circa, l’installation est davantage suspendue, plutôt que d’être posée au sol ou sur le mur, gagnant en ambiguïté, entre l’abri protecteur et le toit étouffant.