Mouvements lents et destructeurs

Détail de l’œuvre Solstice d’hiver d’Andréanne Michon
Photo: Galerie Art mûr Détail de l’œuvre Solstice d’hiver d’Andréanne Michon

Plus ça change, plus c’est pareil, dit l’adage. Moving Still / Still Moving, vaste exposition de groupe en cours à la galerie Art mûr, repose sur cette impression : les choses évoluent sans que leur apparence soit notable.

Sur plusieurs plans, notamment celui concernant la planète et ses changements climatiques, ne pas s’attarder aux lentes mutations fausse notre compréhension de la réalité. Les treize artistes retenus par Anaïs Castro, désormais la commissaire maison, se penchent sur bien des univers, du mouvement lunaire à la perte de mémoire.

Poétiques ou politisées, subtiles et souvent contemplatives, la quarantaine d’oeuvres exposées ne sont pas toutes imbibées de l’âme écologique. Mais d’une manière ou d’une autre, y compris dans la très apaisante vidéo to be veiled de Faye Mullen, artiste de Toronto encore dans la vingtaine, il y a une sorte d’appel à la prise de conscience.

Il n’y a pas péril en la demeure dans le ton de Moving Still / Still Moving, contrairement à la très engagée manifestation World of Matter. Exposer l’écologie des ressources, tenue au début de 2015 à la galerie Leonard et Bina Ellen. En parlant, dans son mot d’intro, d’artistes « réceptifs au changement », Anaïs Castro invite néanmoins les visiteurs à porter, à leur tour, attention au moindre détail. Accepter le changement, c’est s’y adapter, voire modifier nos habitudes de vie.

Motif de la catastrophe

 

Le travail de Jonathan Schipper, sculpteur de Brooklyn, est de cette nature. Axées sur le motif de la catastrophe, ses pièces sont d’un ordre évolutif, du type work-in-progress. Sauf que, plutôt que d’évoquer le processus de création, en soi quelque chose de positif et d’heureux, Schipper appelle à la destruction. À la fin de l’expo, il est fort possible qu’il ne reste que des miettes de ses oeuvres.

L’artiste new-yorkais a envoyé trois pièces, dont la spectaculaire To Dust, deux figures en ciment suspendues à l’envers et dont le constant frottement mène à leur fatale érosion.

Model of Slow Motion Place Crash est moins spectaculaire, bien qu’elle illustre un écrasement d’avion. Muni d’une composante électrique qui pousse lentement, mais sûrement, l’aéronef en plastique contre une paroi, l’oeuvre n’est pas portée, à première vue, par le discours écologique. En sourdine, celle-ci rappelle que même les grandes catastrophes se développent à notre insu, prenant forme dans le long terme. Ainsi en va-t-il de l’écrasement de l’appareil de Germanewings, ainsi en va-t-il de la fonte des glaces.

Ceux qui préfèrent un discours plus frontal, plus naturaliste ou réaliste, préféreront le travail d’une Andréanne Michon. La Montréalaise, vidéaste et photographe, présente aussi trois oeuvres, dont Solstice d’hiver. Le plan fixe de sept minutes qu’elle filme, à la manière de son illustre collègue Alain Paiement, montre une surface glacée en processus de dégel. En plein mois de décembre.

Les « vents d’Amérique »

Autre Québécois, basé en Estrie mais grand voyageur, Patrick Beaulieu s’intéresse depuis longtemps aux questions de migration dans la nature. La vidéo, la sculpture, les photos et la collection de cartes postales qu’il expose tournent toutes autour d’un projet qui l’a mené à suivre les « vents d’Amérique ». S’il y a un phénomène difficile à percevoir, et qui est lié aux transformations atmosphériques, c’est bien le vent. L’artiste arrive à traduire nos rapports ambigus avec lui.

Nicolas Grenier, peintre coloriste défendu depuis peu par Art mûr, avec succès — l’artiste était de la Biennale de Montréal 2014 —, parle, lui, de l’inévitable pourriture de la nature. Par la bande. Il le fait avec la grâce d’un cercle chromatique de pommes, de vraies pommes altérées à la fois par la main de l’homme (Grenier lui-même) et par le temps.

Chris McCaw, quant à lui, travaille sur les effets incendiaires d’une trop longue exposition au soleil. Ses photos de paysage portent des traces de brûlures réelles, subites par le papier.

Et ainsi de suite, les artistes décryptent l’évolution perverse, mais silencieuse et discrète, de la vie sur terre. L’expo est à cette image : ni criarde ni moralisatrice, mais, entre les lignes, ou entre deux oeuvres, alarmante. Elle a aussi le mérite de s’être tournée, dans la sélection des artistes, vers une majorité de noms peu vus à Montréal.

Moving Still / Still Moving

Galerie Art mûr (5826, rue Saint-Hubert) jusqu’au 25 avril.

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