Radicales manières

Mathieu Grenier
Photo: Guy LHeureux Mathieu Grenier

Où sont donc les oeuvres ? Devant deux expositions à quatre kilomètres de distance, et à des années-lumière côté propos, la question est des plus pertinentes. Car, au premier coup d’oeil, il n’y a rien à voir.

Radicales, les expos Le capitalisme au XXIe siècle de la minuscule galerie Thomas Henry Ross, dans le Mile-End, et Mathieu Grenier, chez Roger Bellemare et Christian Lambert, galeristes du Belgo ? De toute évidence. Les manières, toutefois, sont diamétralement opposées : l’une mise sur l’abondance, l’autre sur l’absence.

Pleine à craquer, l’unique salle de la galerie Thomas Henry Ross joue sur l’effet repoussoir. Non seulement il est impossible d’y circuler, les oeuvres, où ce que l’on devine être des oeuvres (des emballages étiquetés de noms d’artistes), demeurent à l’abri des regards.

Derrière son désordre ordonné, véritable bric-à-brac comprenant du mobilier, cette expo-installation se lit comme un manifeste. Un ras-le-bol envers le capitalisme, si on repense au titre de l’expo, et envers tout ce qui vient avec lui : la marchandise, la fortune, la course aux surplus.

Galeriste, commissaire, sans doute un peu artiste, ainsi que papa et conjoint, Jean-Michel Ross nous place devant un fait accompli. Au risque de nous choquer : la salle d’expo sert ici d’entrepôt pour le « capital physique de la famille Waldron-Ross », famille qui se prive de son pied-à-terre montréalais le temps d’un séjour en Chine.

Dégagée, presque nue, la grande salle des galeries Roger Bellemare et Christian Lambert, elle, est consacrée au travail d’un minimaliste de la nouvelle génération, Mathieu Grenier. Les séries Au-delà des signes et Prélèvements ne se composent que de monochromes blancs. Or, chez Grenier, qui a le don de la synthèse, il n’est pas question de peinture, mais de murs, et de crochets devenus simples motifs.

Ces monochromes, en fait, ce sont les morceaux de gypse sur lesquels reposaient des tableaux de la collection du Musée d’art de Joliette — des Hurtubise, Leduc, Pellan, Tousignant révèlent les cartels. Leur blanc, jamais le même, et leurs formats, teintés de la silhouette des chefs-d’oeuvre absents, réaffirment l’abstraction comme un genre non confiné aux limites de son cadre.

Sous une étonnante économie de gestes, le jeune diplômé de l’UQAM (baccalauréat obtenu en 2011) rend oeuvre ce qui est habituellement à la marge. Ce renversement est présent depuis son premier projet, un cube blanc actuellement exposé à la galerie Stewart Hall de Pointe-Claire (l’expo Vertige). Il l’était aussi lors de son premier solo, qui vient de prendre fin au centre Artprim et qui exploitait les différents types de feuilles de papier. La blancheur était tout aussi présente, et c’est grâce au contexte d’exposition qu’une page vierge, à l’instar des murs et crochets chez Bellemare et Lambert, prend valeur d’objet d’art.

Jean-Michel Ross, le galeriste-commissaire quasi-artiste, et Mathieu Grenier ne montrent peut-être rien. Ils demeurent néanmoins dans la représentation, évoquent une galerie et ses biens, un musée et ses murs. Ils parlent des espaces, physiques comme mentaux, sans lesquels il n’y aurait ni objets ni images à contempler. Et bousculent, souhaitons-le, le conformisme trop douillet des visiteurs et des collectionneurs.

Mathieu Grenier

Galeries Roger Bellemare et Christian Lambert, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, suites 501-502, jusqu’au 11 avril.

Le capitalisme au XXIe siècle

Galerie Thomas Henry Ross, 5445, avenue de Gaspé, local423, jusqu’au 19 juin.

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