Entreprendre la guérison en libérant la parole

Vue sur l’exposition Oraison (Tentative), à Oboro.
Photo: Paul Litherland Vue sur l’exposition Oraison (Tentative), à Oboro.

Nadia Myre présente à Oboro, à l’issue d’une résidence de deux ans dans les laboratoires du centre d’artistes, une exposition qui remet en perspective le travail accompli depuis bientôt 15 ans. À quelques jours du dévoilement du prix Sobey 2014, prestigieuse récompense pancanadienne pour laquelle l’artiste est la finaliste québécoise, la proposition mérite doublement l’attention.

Deux projets maîtres ont marqué ces années de production, dont le plus déterminant est sans aucun doute Indian Act, d’ailleurs amorcé à Oboro en 2000. The Scar Project, en cours depuis 2005, est l’autre oeuvre majeure mobilisée dans cette exposition abordant le thème de la douleur à travers les processus de remémoration et de guérison.

L’exposition laisse découvrir peu à peu ses composantes plongées dans une noirceur découpée par un éclairage dramatique. Des voix se font entendre, livrant des histoires personnelles toutes liées à des expériences douloureuses, certes physiques, mais surtout psychologiques. Ces récits ont d’abord été recueillis à l’écrit par l’artiste dans le cadre de Scar Project, une série d’ateliers au cours desquels les participants représentaient leurs blessures cicatrisées, réelles ou métaphoriques, en brodant sur des toiles.

Les broderies générées ont fait l’objet de plusieurs expositions sous des formes variées auxquelles la présentation d’Oboro s’ajoute. Dans une alcôve défilent en projection les toiles brodées que l’artiste a numérisées. Erratiques, appliqués, grossiers ou subtils, les motifs sont toujours d’une grande expressivité et évocateurs d’une certaine violence, en ce qu’ils s’incarnent tous en traversant la matière pour la marquer, comme les traumatismes sur les corps. Les plaies semblent parfois vives, la guérison lente.

Le travail réalisé en résidence pour constituer une archive de Scar Project prend tout son sens dans la scénographie de l’exposition. L’extrême blancheur de la pièce où sont projetées les images des balafres rappelle la mise en lumière nécessaire à la guérison d’une blessure ; sans la cicatrice qui la figure, elle se terre, invisible, alors que c’est le regard de l’autre qui peut la faire exister.

L’exercice de figuration auquel les personnes se sont prêtées est en soi significatif et rappelle comment l’image est constitutive de soi, domaine que les arts visuels explorent avec à-propos. Le travail exécuté à l’aiguille repose quant à lui sur un faire artisanal, technique que Nadia Myre a épousée dès les débuts de sa pratique afin de puiser dans les traditions de ses origines algonquines.

C’est d’ailleurs par la technique du perlage, des billes de verre rouges et blanches, qu’elle a, avec plusieurs volontaires, patiemment recouvert les 56 pages de texte de la Loi sur les Indiens. Ce riche projet, Indian Act, est ici réactualisé par le truchement de panneaux qui montrent l’endos agrandi de sept de ces pages numérisées. Le perlage, en se substituant au texte, procédait à une réappropriation du devenir-Indien proclamé par la Loi. L’endos de cet ouvrage redit autrement l’autorité de la Loi ; ce sont des fils blancs bigarrés, qui font étrangement écho aux motifs de cicatrices. Après tout, peut-on conclure, la Loi, sa violence insidieuse, ne s’inscrit-elle pas aussi d’une façon symbolique dans la chair et sur les corps ?

L’histoire des « Indiens » assignés par la Loi rejoint dans l’exposition les histoires personnelles de traumatismes récitées. Les extraits sonores sont en effet diffusés depuis les panneaux, qui se font ainsi progressivement découvrir, animés par les voix et par une lumière qui balaie l’espace. Le ton relativement détaché des voix, des personnes engagées par l’artiste pour faire la lecture des récits, insiste moins sur le pathos des drames que sur la nécessité de la prise de parole et de son partage. L’actualité, avec les révélations en rafales d’agressions, semble valider une telle chose.

La guérison sera collective ou ne sera pas, invite finalement à penser l’artiste par diverses allusions. Un réconfort, même symbolique, est également de mise, à en croire la pile, posée là, de couvertures de feutre (clin d’oeil peut-être à Joseph Beuys) ou ces petits baluchons remplis de tabac et de cèdre, plantes guérisseuses, que l’on peut apporter avec soi.

Oraison (tentative)

De Nadia Myre, à Oboro, 4001, rue Berri, local 301, jusqu’au 13 décembre.

À voir en vidéo