Être artiste en collectionnant

Il y a les collectionneurs de l’ombre et il y a ceux qui s’affichent. Ces derniers, un bon nombre d’entre eux en tout cas, sautent la barrière et deviennent, à leur tour, marchands, faisant de leur nom l’enseigne de leur galerie. Puis, d’autres, plus rares, voire très rares, prennent un chemin parallèle au marché, une sorte de voie de service. C’est le cas de François Odermatt, qui joue désormais les commissaires et monte des expositions. Comme Next, l’exposition en vedette cet été à l’Arsenal, le complexe de son ami Pierre Trahan.
« Je suis un artiste quand je fais ça. Je crée une oeuvre d’art. Avec Next, j’exprime un sens artistique. C’est ma motivation, dit-il. Je ressens des émotions. Est-ce que j’ai réussi à provoquer des choses ? Avez-vous eu des frissons ? »
Next réunit des oeuvres de sa collection, à l’exception de quelques-unes, qui appartiennent aux artistes, comme celle créée sur place par Tony Lewis, 6. Have a Firm Handshake, une composition en élastiques et en clous. C’est le collectionneur qui a choisi chacune des pièces de l’exposition, dessiné le parcours, et même pensé à cette scénographie en caisses de transport. Comme il s’agit d’un projet d’envergure internationale, sans artistes québécois ni canadiens, Next s’accommode bien de cette image de cargo.
« J’amène des artistes qu’on ne voit pas ici, clame François Odermatt. C’est le partage qui me motive. »
Les 19 artistes vivent et travaillent aux États-Unis, la plupart à New York, quelques-uns à Los Angeles ou à Chicago. Qu’ils soient nés au pays, à Buenos Aires ou à Bangkok, leurs pratiques reflètent ce que le marché nord-américain apprécie et défend.
« C’est à New York et à Los Angeles que ça se passe, plaide l’homme d’affaires montréalais. Il faut être dans leur tissu pour que des choses arrivent. »
Il n’a pas opté pour une exposition de la relève par pure spéculation — l’âge des artistes varie entre 25 et 35 ans — ni pour jouer les défricheurs. « Je ne prétends pas détenir la vérité. Je fais confiance aux galeristes, comme on fait confiance à mon oeil », dit-il, simplement. Si jeunes soient-ils, ces artistes, prétend-il, sont de toute façon déjà des grandes figures.
François Odermatt agit « par coup de foudre », lorsqu’il achète, ou achetait — du bout des lèvres, il laisse comprendre qu’il ne fait plus d’acquisitions. L’art est une affaire d’émotions, croit celui qui demandera plus d’une fois, pendant le rapide tour de l’exposition, quel tableau provoque des frissons. Lui, c’est devant la peinture à l’huile hyperréaliste Sweatytits.com qu’il réagit surtout, la considérant comme un emblème de notre société sexualisée et ultra-médiatisée. L’artiste Nick Darmstaedter a reproduit dans le moindre détail une fenêtre pop-up et son message d’erreur.
C’est un profond désir de partager ses émotions qui le pousse à exposer ses trésors. Il assure n’avoir rien sur les murs de son petit appartement. « Ma maison est ici », dit-il, en parlant de l’Arsenal.
Les cinquante oeuvres de Next, presque toutes de la peinture — le dada de François Odermatt, de son propre aveu —, n’orneront pas ses murs. Acquises depuis trois ans, elles sont entreposées à New York, disposées à être prêtées. Il ne leur a fait franchir la frontière que pour cette seule exposition, dans le seul but de « montrer ce qui se fait aujourd’hui en art international ». Pas de volonté chez lui de les revendre, puisque, rappelle-t-il, « il n’y a pas de marché au Québec ».
Comme il n’agrandira pas davantage sa collection, François Odermatt préfère désormais se consacrer à la conception d’expositions. Les artistes québécois bénéficient aussi de son aile. Pour la prochaine foire Art Basel, le grand rendez-vous international du marché de l’art à Miami, il compte présenter une douzaine de nouveaux tableaux de François Lacasse, en collaboration avec le galeriste de l’artiste, René Blouin. Rien n’est encore sûr, mais c’est un de ses souhaits d’en arriver là, en décembre. Parisien de naissance, il a gardé ses contacts européens et confie avoir reçu une invitation d’une galerie zurichoise pour signer une exposition en… 2017. L’homme, visiblement, veut s’afficher sur toutes les scènes.