L’idéal désenchanté du village global

Les mondes en miniature marqués par les plus grandes inégalités sociales de Karine Giboulo font l’objet d’une rétrospective à Expression. L’institution de Saint-Hyacinthe est la première au Québec à offrir un regard d’ensemble sur la production de l’artiste, active depuis le début des années 2000.
Le travail de Giboulo ne cesse de retenir l’attention, elle dont les oeuvres ont profité d’une bonne visibilité dans les centres d’artistes comme dans les galeries (Plein Sud, Circa, Sas, Art Mûr) et qui a reçu rapidement l’adhésion de collections importantes comme celle du Musée des beaux-arts de Montréal et de la McMichael Canadian Art Collection à Kleinburg, près de Toronto. L’année passée, c’est dans cet endroit niché dans la nature qu’une cinquantaine de ses oeuvres ont été exposées. La commissaire Danielle Lord, pour Expression, et la conservatrice adjointe Sharona Adamowicz-Clements, pour Kleinburg, vont d’ailleurs signer les textes d’une monographie coéditée à venir.
Constituée des pièces clés, mais plus modeste, l’exposition à Expression permet de jauger la progression du travail, à commencer par le pas de géant fait par l’artiste, qui est passée de sculptures enserrées dans des bulles de plexiglas à d’extravagants dioramas. Trois exemples de ces miniatures lovées dans des sphères montrent en effet un ton onirique que l’artiste a par la suite délaissé pour une approche franchement plus critique, et faussement joyeuse.
De là, Giboulo a mis au point les dispositifs qui ont fait la renommée de son travail et dont sont emblématiques les oeuvres Cité de rêve (2013), Village démocratie (2010-2012) et All You Can Eat (2008), toutes trois de l’exposition, ainsi qu’une nouvelle oeuvre inédite, HYPERLand. Une armada de figurines en argile polymère colorée est déployée dans ces imposantes installations pour illustrer d’iniques rapports humains, les exploiteurs face aux exploités, évoquant les contextes où l’artiste les a observés lors de ses voyages, à Haïti, en Inde et en Chine.
Toutes les disparités socioéconomiques, et les conséquences sur l’environnement, entraînées par le capitalisme, l’industrialisation, le tourisme, la consommation de masse, la surproduction et la mondialisation y sont déclinées avec force et détails. Avec une simplicité également qui ne manque pas de rappeler l’inaction persistante devant ces grossières évidences. L’artiste désenchante l’idéal du « village global ».
Toute la distance provoquée par l’échelle miniature, qui permet de surplomber les scènes, et par le caractère enfantin de la facture, qui donne l’apparence de jouets, se veut paradoxalement une façon de nous impliquer davantage ; il faut physiquement s’approcher pour fouiller du regard, posture dominante qui nous renvoie avec persistance à notre rôle. Et si nous étions complices, peut-être malgré nous, de ces torts ? Les façades en miroir, sur les structures des dioramas au demeurant complexifiées avec le temps, reflètent notre image à l’évidence pour cette raison.
La cohérence entre la nature des dispositifs et les thématiques abordées donne à l’ensemble une redoutable efficacité dont les ressorts, par trop prévisibles, peuvent finir toutefois par lasser, surtout dans le contexte de la rétrospective. C’est en même temps une forme d’éloquence et de lucidité, l’artiste sachant visiblement trop bien comment les réalités mises en scène seront difficiles à contrer, voire sempiternelles. Le danger de faire de cette misère humaine qu’un spectacle, est, lui, toujours bien présent, comme le montre cette parodie d’exposition d’art contemporain, dans une discrète cavité de Cité des rêves, où les oeuvres, sculptures et photos, ont tout l’air d’être faites de déchets prélevés dans un dépotoir du tiers-monde.