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1964. Exposition universelle de New York. On y trouve des pavillons nationaux, mais aussi des pavillons présentant des compagnies : American Express, RCA, Coca-Cola, Seven-Up, DuPont, Johnson’s Wax, Eastman Kodak, Clairol, Scott Paper… Le visiteur peut aussi y visiter des pavillons vantant les mérites de groupes religieux : les orthodoxes, russes, les mormons, les protestants… Mais c’est aussi un moment important pour l’histoire de l’art. C’est ce que nous explique une exposition très bien documentée au Queens Museum à New York, une expo qui dresse un formidable portrait d’époque.
Pour cet événement, l’architecte Philip Johnson, qui dessine le pavillon de l’État de New York, demande à dix artistes, parmi les créateurs les plus recherchés del’époque, de réaliser une oeuvre.Dix murales sont donc installées sur les murs extérieurs de ce pavillon, oeuvres de Agostini, de John Chamberlain, de Robert Indiana, d’Ellsworth Kelly, de Roy Lichtenstein, d’Alexander Lieberman, de Robert Mallary, de Robert Rauschenberg, de James Rosenquist et… d’Andy Warhol.
Pour son panneau, Warhol prend un sujet étonnant. Il utilise les photos des treize criminels les plus recherchés par la police de l’État de New York en 1962. Voilà qui pourra surprendre ceux qui connaissent bien les portraits que Warhol réalisa plus tard, portraits de gens riches et célèbres dont chacun valait la coquette somme de 50 000 $ (un montant important pour l’époque, même si bien sûr il ne rivalise pas avec les prix de notre art contemporain). Selon John Giorno, l’amoureux de Warhol à ce moment-là, l’idée viendrait en fait du peintre Wynn Chamberlain. Dans un repas où Warhol expliquait qu’il ne savait vraiment pas quoi faire pour ce pavillon, Chamberlain lui aurait suggéré d’utiliser les photos de ces criminels, ajoutant que son copain policier pourrait lui fournir le livret avec toutes les images…
Censure
Évidemment, le projet choqua. Est-ce le gouverneur de l’État de New York, Nelson Rockfeller, qui demanda son retrait ? Sept des treize criminels avaient des noms italiens et il n’aurait pas voulu déplaire à son électorat… italien. Certains dirent que c’était plutôt Robert Moses, urbaniste ayant réorganisé profondément la ville de New York et président de l’exposition universelle, qui exigea que cette oeuvre disparaisse. Le gigantesque panneau fut repeint en couleur argent… Peut-être pour éviter le scandale et certainement pour sauver les apparences (les États-Unis, terre de liberté censurant un artiste, cela pouvait donner une mauvaise image du pays…), Johnson annonça que c’était Warhol lui-même qui, n’étant pas content du résultat, avait fait repeindre son oeuvre. Warhol proposa un deuxième projet, une photo de Robert Moses, mais cela lui fut aussi refusé…
Bouts d’essai
Comme l’a écrit l’historien de l’art Thomas Crow, c’est l’époque où Warhol s’intéresse à des sujets tragiques, à ce qu’on pourrait nommer une « peinture noire », tout comme on parle de film noir ou de roman noir… Il représente la chaise électrique, des accidents de voiture et des portraits de vedettes ayant souffert (Marilyn, Liz Taylor, Jackie Kennedy). Warhol voulait regrouper toutes ses oeuvres dans une expo intitulée Death in America.
Richard Meyer, dans son livre Outlaw Representation, explique avec détails comment Warhol travaille alors sur un mélange entre « célébrité, mort et criminalité ». Il montre comment cette oeuvre refusée avait peut-être aussi des liens avec ce que les gais vivaient alors… Elle donnait à voir de mauvais garçons, des hommes poursuivis par la police, au moment même où cette police multipliait les descentes dans les bars gais, désirant « nettoyer » la ville à l’approche de l’Expo universelle. Quelques mois plus tard, Warhol commença à réaliser ses Screen Tests, sa célèbre série de courts portraits filmiques. Il la débuta avec 13 Most Beautiful Boys… Ce qui valut à Warhol une descente de police dans son studio. Le visiteur de l’expo pourra d’ailleurs voir aussi ces films de beaux garçons dans l’exposition.
Finalement, Warhol se resservit des trames de soie qu’il avait utilisées pour sa murale de 1964 afin de créer treize tableaux distincts présentés à la galerie Ileana Sonnabend, mais à Paris en 1967. Cette série d’oeuvres ne fut montrée à New York qu’en 1988, un an après la mort de Warhol. Et c’est un événement que de pouvoir les voir presque toutes réunies dans le Queens Museum, bâtiment situé sur le lieu même de l’Expo universelle de 1964.