Aires libres s’ouvre à la sculpture monumentale

L’intitulé Aires libres désigne, pour une septième édition, la piétonnisation culturelle de la rue Sainte-Catherine dans le Village. C’est dans ce cadre que Les boules roses de Claude Cormier ont fait leur apparition, signe distinctif qui plane encore cette année sur l’ensemble des autres installations et activités de l’événement se déroulant sur l’artère pour la période estivale. Depuis qu’elle a été confiée à des commissaires reconnus, la Manifestation d’art public qui en est le coeur est en voie de s’imposer pour sa crédibilité en art contemporain.
L’inscription d’oeuvres d’art dans ce contexte demeure un défi de taille, tant la surcharge visuelle signalétique et publicitaire prévaut. La multiplication des terrasses sur ce tronçon de la rue offre, il est vrai, la possibilité d’attirer un public nombreux, mais en retour des installations accaparantes, qui peuvent masquer les oeuvres d’art.
En cela, un tel événement d’art contemporain soulève des questions sur ses modalités d’inscription dans l’espace public, lequel ici est chargé à la fois de signes et de spectateurs potentiels. Les oeuvres doivent-elles mimer les composantes contextuelles et jouer d’une discrétion critique, heurter par leur présence les piétons et les usagers ou encore ne pas tenir compte des éléments en présence ? Sur quels aspects de l’espace public l’art doit-il intervenir ?
Sans soulever ces questions directement, la présente édition menée par la commissaire Aseman Sabet prend une direction claire en revisitant la tradition du monument. Avec la présentation de cinq sculptures imposantes produites spécifiquement pour l’événement, la commissaire introduit une nouveauté à la nature du parcours, qui, jusqu’à présent, se cantonnait sur les panneaux photographiques et les surfaces murales. À l’été 2013, sous l’égide de Marie-Ève Beaupré, les applications murales de Dominique Pétrin n’avaient pas manqué de retenir l’attention par leur audace, qui avait donné toute son efficacité à l’édition bien nommée « Habiter sa couleur ».
Les sculptures cette année, qui s’ajoutent aux oeuvres sur panneaux et à une intervention sur l’édicule du métro Beaudry, permettent toutefois d’occuper l’espace par leur volume et d’interagir avec d’autres composantes environnantes.
Zones grises
À la consommation visuelle rapide qui domine dans la rue, les oeuvres imposent au regard de ralentir, car tout se passe avec elles « entre les lignes », comme le dit le thème, qui traite à la fois de ce qui se trouve dans les zones grises et de ce qui relève du langage formel, du trait et du dessin. L’oeuvre de Nicolas Fleming est des plus énigmatiques, avec son enclos en bois qui enferme et révèle des monolithes. Les matériaux bruts, l’aspect inachevé, tranchent avec le clinquant de vitrines et mettent en relief l’activité de monstration, réelle épreuve dans ce contexte.
Valérie Blass présente un bronze où le réseau de tiges s’entremêle de cordes qui, elles, sont suspendues par des mains, confondant qui de la structure ou du corps supporte. Tandis que cette sculpture semble deviser sur l’attachement et la rencontre — sur le corps devenant objet, et inversement —, l’oeuvre de Catherine Bolduc met en scène des colliers de perles avec des chaînes, de celles qui décorent et de celles qui emprisonnent. Le dispositif, fait de portes encloses et de miroirs, connote l’assemblage des activités de séduction et de fétichisme dont le quartier est le théâtre.
Les sculptures de Patrick Coutu et de Louis Bouvier conversent plus directement avec la tradition du monument, mais sans la célébration d’événements ou de personnages historiques à laquelle elle se consacre habituellement. L’oeuvre de Coutu, dans son titre, porte aux nues l’athéisme sous la forme d’une chute dont la composition repose sur la concrétude des mathématiques. Bouvier, quant à lui, fait se rencontrer colonnes classiques et ornements kitsch, déboulonne les premières pour élever les seconds.
N’était le fait qu’elles se trouvent près des trottoirs, coincées près des terrasses par exemple, car on les verrait plus volontiers au centre de la chaussée, les sculptures constituent un corpus des plus solides, avec des pièces fortes et inédites, trouvant aussi à réunir des artistes plus ou moins établis. Les panneaux photographiques ne sont pas en reste avec les oeuvres de Cynthia Girard, de Max Wyse et de David Lafrance, qui sont soit des reproductions d’oeuvres peintes, soit des productions numériques.
Le transfert sur un support dans l’espace public est plus manifeste chez le peintre Jean-Benoît Pouliot, qui a adapté sa méthode de travail pour les vitrines monumentales de la Banque Nationale. Il a projeté, photographié et agrandi des vétilles de plastique trouvées par terre, s’approchant ainsi du vitrail. Quant au duo formé par Jim Holyoak et Matt Shane, il a dessiné un bestiaire hétéroclite qui flotte sur les vitres de l’édicule du métro Beaudry, dans un registre toutefois plus bon enfant que ses réalisations sur papier.
Les oeuvres parviennent à insuffler des réflexions dans un endroit où les effets de surface sont pourtant légion. Elles doivent aussi disputer l’attention avec la pléthore d’autres activités, comme celle du FIMA, le Festival international Montréal en arts, et les tentes de ses multiples exposants, déjà en cours d’installation lors de notre visite et qui prendront beaucoup de place en fin de semaine. Pour en bénéficier pleinement, autant prévoir de parcourir les lieux plus d’une fois cet été.