L’art en temps réel

Collectif ad-hoc N.-W., Marie-Claude Gendron, 78, 2012
Photo: Emmanuelle Duret Collectif ad-hoc N.-W., Marie-Claude Gendron, 78, 2012

Ça performe de plus en plus. Dans les galeries, sur les toits verts, à l’université et même au musée. Ce premier samedi d’avril sera notamment celui de la Rencontre interuniversitaire de performance actuelle présentée à l’UQAM. Des artistes seront aussi en action au Belgo pour partager du « temps réel » avec les visiteurs.

«Quand je fais de la performance, j’ai l’impression de m’engager dans quelque chose qui me dépasse, qui touche un groupe. C’est une expérience, une fois, un soir. Il y est question de l’implication, de l’engagement du corps et d’un engagement mental. Si je fais de la peinture, le partage n’est pas là, même une fois exposée. Le résultat est final et le temps à faire l’objet m’appartient. Je le fais en solitaire. Ce n’est pas le cas en performance. »

 

Artiste de Québec, étudiante à l’UQAM, Marie-Claude Gendron fait partie des nouveaux visages d’une discipline née dans la révolte au milieu du XXe siècle, en réaction aux institutions qui définissaient l’art. « La performance a encore un potentiel subversif, croit la jeune femme, qui s’est déjà produite sur un toit vert de Québec. Mais même là… L’espace public n’est plus un espace public. On ne peut pas aller faire quelque chose dans le Quartier des spectacles ; c’est contrôlé. »

 

Samedi, Marie-Claude Gendron est à l’affiche de la troisième Rencontre interuniversitaire de performance actuelle (RIPA). Un tremplin pour la relève animé par un esprit de convivialité et d’échange.

 

La RIPA réunit les différentes variétés de la performance, certaines à l’italienne, celles qui titillent le théâtre, d’autres plus physiques, ou orales, voire discursives, dites « conférences performatives ». Outre des artistes d’universités québécoises, le programme inclut des gens du Nova Scotia College Art and Design, historique pépinière d’Halifax.

 

Pour Jean-Philippe Luckhurst-Cartier, un des organisateurs derrière la RIPA, la performance se vit en temps réel comme une sorte de communion entre l’artiste et l’auditoire.

 

« Le public vit une cérémonie. Un rituel, laïc, c’est certain, mais il y a l’idée que tous ensemble on se tait pour être attentif à un geste d’un autre. Live. Comme au théâtre, mais sans mise en scène, sans texte, sans générale. Il s’agit d’un geste, d’une action, d’une soirée, d’un événement. »

 

Sans mise en scène, souvent avec un minimum de décors et d’accessoires, la performance comporte sa part d’imprévus. Même si elle admet « avoir une série de gestes en tête, construire une suite logique et faire du travail de visualisation », Marie-Claude Gendron dit se mettre en danger, près de l’échec. « Il y a de l’incontrôlable dans quelque chose de contrôlé. »

 

Pour sa performance à la RIPA, où elle opposera corps fragiles et solides, elle évoquera le rapprochement entre la réalité éphémère de sa discipline et sa récente institutionnalisation. Hier subversive, voire interdite, aujourd’hui acceptée et même encouragée, la performance s’enseigne à l’université, s’immisce dans bon nombre de vernissages.

 

La politique d’intégration des arts à l’architecture, cet art public permanent et officiel dit du 1 %, s’est dotée d’une première oeuvre performative, J’aime Montréal et Montréal m’aime, de Thierry Marceau, dans l’édifice du 2-22, rue Sainte-Catherine.

 

L’art de l’éphémère entre même au musée : le Musée d’art contemporain de Montréal (MACM) faisait l’acquisition, il y a un an, de This Situation, une oeuvre de Tino Sehgal basée que sur l’oral, y compris l’entente qui scelle son achat.

 

« C’est sûr que la performance s’est institutionnalisée, consent Jean-Philippe Luckhurst-Cartier. Lesley Johnstone [conservatrice au MACM] parlera dimanche de sa muséification. On est rendu là. »

 

Samedi soir, la formule proposera quatre performances/entracte/quatre performances — et combien d’imprévus, suppose le porte-parole de la RIPA. Dimanche, une table ronde traitera des enjeux actuels de la discipline, notamment son « collectionnement ». C’est là que Lesley Johnstone interviendra.

 

« Je ne suis pas sûre que le musée soit fait pour la performance, confie-t-elle. Je ne dis pas qu’il n’est pas le lieu pour en présenter. Mais est-ce que la performance est muséable ? Au musée, les choses sont fixées dans le temps. La performance travaille contre ça, contre ce que le musée signifie. Mais on peut faire une distinction entre la présentation de la performance et sa conservation. »

 

Si le MACM a acquis une oeuvre de Sehgal, c’est par souci de faire entrer cet artiste majeur des années 2000 dans ses collections et non par besoin d’acquérir des performances. Reste que le MACM et d’autres musées commencent à se préoccuper des pratiques éphémères.

 

Musée ou pas, la performance suscite un intérêt grandissant. La RIPA 2014 a reçu une cinquantaine de dossiers, contrairement à la dizaine des précédentes éditions. Samedi, en dehors de ce festival d’un jour, deux centres d’artistes du Belgo vibreront sous les actions de performeurs.

 

Tout l’après-midi, B-312 accueille Sylvie Cotton et sa Trilogie d’actions à deux voix, alors que Circa reçoit Francis O’Shaughnessy à 17h.

 

Le MACM, quant à lui, clôturera son colloque sur le remixage par une performance-concert de DJ Spooky à 21h.

Le public vit une cérémonie. Live. Comme au théâtre, mais sans mise en scène, sans texte, sans générale. Il s’agit d’un geste, d’une action, d’une soirée, d’un événement.

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