Conflits perpétuels

D’exposition en exposition, Sayeh Sarfaraz redéploie les composantes d’un inventaire bien à elle et pourtant si commun : les figurines Lego. Elle en fait les personnages de ses installations, qui évoquent sous des airs bon enfant les violentes répressions exercées dans certains régimes du Moyen-Orient, et en particulier en Iran, son pays d’origine. Les jouets lui permettent d’aborder des sujets durs et d’indicibles réalités. Elle les détourne aussi intelligemment de l’usage sournois qui en est fait dans la promotion de la violence sous toutes ses formes.
Depuis 2008, Sarfaraz multiplie les expositions, notamment à Montréal où elle s’est installée après avoir étudié pendant six ans en France. Sa démarche s’est cristallisée autour des aspects qu’on lui connaît en 2009, lors de la réélection contestée du président iranien Mahmoud Ahmadinejad. L’événement, a-t-elle déjà raconté en entrevue, a été pour elle un véritable tournant ; sa pratique allait désormais s’engager dans un devoir de mémoire à l’endroit de ce drame collectif duquel elle n’exclut pas une dimension personnelle qui est celle de l’artiste en exil.
L’exposition Micropolitiques à la Maisons des arts de Laval poursuit dans cette veine tout en apportant de nouvelles inflexions au travail. Les figurines sont toujours au rendez-vous, regroupées dans différentes mises en scène ayant pour mission de suggérer l’emprisonnement, la répression, la résistance, le sacrifice et le deuil. Des clans s’opposent selon des rapports de force qui mettent en présence le pouvoir des armes contre celui du nombre. Ici, l’artiste a délesté son travail des écritures qui venaient identifier certains personnages et garnir ses installations de déclarations, de citations ou de définitions appuyant ce que l’assemblage des figurines traduisait déjà en un sens.
De ce fait, l’interprétation des scènes de conflit devient plus ouverte, moins didactique. Offert en appoint à l’exposition, un opuscule vient néanmoins camper la galerie de personnages et les événements sociopolitiques qui ont marqué l’Iran ces dernières années. L’ayatollah, la milice militaire Bassidji et la contestation populaire du Mouvement vert en 2009 sont ainsi évoqués sans toutefois être reliés directement aux figurines, ce qui dynamise autrement et pour le mieux la lecture des scènes.
Ces petits théâtres d’objets n’auraient toutefois pas cette portée sans l’imposante scénographie qui les abrite et qui les répartit dans la grande salle Alfred-Pellan. De larges cimaises, au fini parfois brut cimenté, configurent le parcours en labyrinthe et aménage pour les figurines des vitrines qui font office aussi de meurtrières ou de cellules. L’une d’elles, assez grande, peut accueillir les plus jeunes visiteurs, un des publics ciblés par cette exposition. Ils y verront des cubes, au potentiel volontairement ludique, mais qui, tout comme la façade à l’entrée du parcours, font voir des dessins dont les allusions militaires surgissent peu à peu.
Le dessin fait partie intégrante du travail de l’artiste depuis ses débuts. À travers le temps, elle l’a constamment épuré pour atteindre ici une graphie d’une grande élégance, si régulière que ressort en elle l’aspect fluide de l’écriture persane qui ornait auparavant ses installations. Ces changements que Sarfaraz a apportés à son travail n’enlèvent pas l’impression qu’elle opère depuis 2009 au sein d’un même cycle. Il fait retour avec insistance, comme les conflits en Iran que le nouveau président plus modéré Hassan Rouhani saura peut-être dénouer.
Si le futur de l’Iran demeure incertain, celui de Sayeh Sarfaraz augure du bon. D’autres présentations en solo sont prévues cette année, notamment à Circa (Montréal) et à The Invisible Dog Art Center (Brooklyn), où Claire Moeder, commissaire de l’actuelle exposition, jouera aussi un rôle. La commissaire fera d’ailleurs une visite commentée de l’exposition ce dimanche 16 mars à 14 h, une occasion d’en savoir plus qu’avec le trop bref texte d’accompagnement placé en début du parcours.
Collaboratrice