Chorégraphie de corps et de caméras

Oboro présente le plus récent corpus (2010-2014) de Bettina Hoffmann, elle dont le travail n’a pas été vu en solo depuis 2007 à Montréal, dans le cadre du Mois de la photo. Figure importante de la vidéo et de la photographie depuis le début des années 2000, l’artiste propose ici une exposition charnière, qui montre un passage dans sa production où désormais les personnages filmés sont en action.
La production très typée de l’artiste, dans ses vidéos, se définissait en effet par une caméra en mouvement rotatif qui scrutait des personnages immobiles à l’expression figée. Dans sa ronde incessante, la caméra flottait ainsi dans des intérieurs domestiques, le plus souvent, où des mises en scène évoquaient l’ambiguïté de relations interpersonnelles dans un rapport toujours trouble à l’image. La vidéo à deux canaux, Swing (2010), chez Oboro, est de cette espèce.
Légèrement en décalage, les deux points de vue de la caméra ratissent une pièce où des personnages de générations différentes tiennent la pose. Leur absorption ne laisse cependant pas deviner à ces personnages une intériorité psychologique, tant la mécanique du tournage renvoie tout froidement à la surface des choses. Si l’histoire qui relie ces personnages demeure inconnue, il en va autrement avec les reproductions d’oeuvres aperçues dans le décor ; la sculpture antique du Laocoon et la tête de Méduse peinte par le Caravage laissent flotter autour d’eux les intrigues en suspens de ces récits mythologiques dont l’histoire de l’art est truffée et qui, de toute évidence, se réincarnent aujourd’hui sous d’autres formes.
Bien que poursuivant les méthodes du passé, l’oeuvre se distingue aussi par sa trame sonore. La musique d’ambiance tendue jadis seule privilégiée fait place à des paroles manipulées au montage, par chevauchements et répétitions, faisant passer les émotions énoncées à un désordre mécanique. Ce contraste entre l’acuité visuelle rendue par l’oeil de la caméra et le brouillage sonore est par ailleurs renversé dans l’oeuvre monobande Myopia (2011). Une caméra hors foyer nous amène dans un intérieur où des bruits du quotidien se font distinctement entendre… car les personnages se meuvent. De la combinaison des mouvements et du flou naît une nouvelle chorégraphie des corps.
Trois Grâces
C’est à cette chorégraphie des corps en mouvement, et non plus seulement à une chorégraphie des regards révélée par une caméra rotative, qu’explorent deux autres oeuvres de l’artiste. Dans Drain (2012), la caméra devient statique et dévoile dans un long plan-séquence au ralenti en contre-plongée trois jeunes femmes en interaction. Elles se tiennent autour d’un plan d’eau, élément dans lequel nous plonge également la bande sonore dans un dépouillement juste et convaincant.
Le film intrigue quant à la manière dont il a été tourné — s’agit-il vraiment de ce que l’on voit ? — et capte l’attention jusqu’au bout de ses neuf minutes en boucle faisant voir la presque danse conflictuelle à laquelle se livrent les trois femmes. Ce sont peut-être trois Grâces d’aujourd’hui, que la beauté, la joie et l’abondance, jadis célébrées, font se retourner les unes contre les autres.
Pour Exit (2012), les corps se livrent à d’aussi étranges actions, que la caméra capte en mouvement. Plus uniformes, plus anonymes, voire androgynes, que jamais, les personnages ont encore une attache à l’univers domestique, mais leur façon de l’habiter y est plus déstabilisante. Un corps pétri par des mains se laisse choir en bas d’une table ; derrière lui, la vue subreptice d’une porte entrouverte et d’un personnage tronqué qui se tient dans l’ombre. Des interdits flottent. Ce travail récent montre que l’artiste a su intégrer la danse à sa vidéo, une combinaison tentée par d’autres, mais à laquelle elle donne l’aplomb des moyens qu’elle a développés depuis des années.
Collaboratrice