«Je veux comprendre cette chose entre moi et le monde»

« Je me demande si je fais de la peinture. Je fais plus du dessin. Je travaille la ligne, pas l’empâtement », pense Marie-Claude Bouthillier.
Photo: Robert Etcheverry, Fondation Émile-Nelligan « Je me demande si je fais de la peinture. Je fais plus du dessin. Je travaille la ligne, pas l’empâtement », pense Marie-Claude Bouthillier.

Le prestigieux prix en arts visuels Ozias-Leduc, attribué par la Fondation Nelligan tous les trois ans, se fait discret. Fin novembre, l’annonce de son huitième lauréat a passé entre les mailles des filets médiatiques, malgré sa valeur, 25 000 dollars, et la raison de ses honneurs : la peinture de Marie-Claude Bouthillier.

 

Présente depuis les années 1990, aujourd’hui dans le giron de la galerie Hugues Charbonneau, la peintre est une valeur sûre de l’art actuel du Québec. Elle a exposé autant en solo que lors d’importantes manifestations thématiques, de Métamorphoses et clonage (Musée d’art contemporain, 2001) à Projet peinture (Galerie de l’UQAM, 2013). Membre active du centre Clark, appréciée de ses pairs, elle est reconnue pour son ouverture d’esprit et sa fascination pour la cartomancie. Ses deux projets de commissaire, Réponse à Zola (Clark, 2006) et Le Tarot de Montréal (Maison de la culture Plateau-Mont-Royal, 2010), en sont de belles preuves.

 

L’éloge de la présidente du jury, Louise Déry, mis en ligne par la Fondation Nelligan, est explicite. « Ses oeuvres témoignent d’une exploration originale des tensions entre la peinture et le canevas. Déjouant les règles d’une discipline souvent envisagée dans sa dichotomie forme-fond, ou support-surface, notre lauréate s’active justement à en relancer le dialogue et à en produire le débordement au sein de l’espace ou de l’architecture », écrit la directrice de la Galerie de l’UQAM.

 

Ces derniers temps, c’est à coups d’installations envoûtantes, d’oeuvres habitacles que Marie-Claude Bouthillier a déversé sa matière. Les expositions Dans le ventre de la baleine, au centre Optica, en 2010, et La bonne aventure, à La Centrale, en 2011, ont été maintes fois saluées. On les visitait comme si on entrait dans son atelier, dans un chez-soi tapissé de lignes, de grilles, de textures, motifs qu’elle traîne depuis toujours à la manière d’une bohème tirant sa roulotte.

 

« Ce sont des environnements picturaux, corrige-t-elle, pas des installations. Je ne sais pas ce qu’est une installation. Moi, c’est un environnement… pictural. Je suis à l’aise avec ces mots. Je les comprends bien. »

 

Femme de peinture, femme de mots. Marie-Claude Bouthillier, qui prétend ne pas avoir le talent inné et se qualifie davantage comme une « “doer”, toujours en train de fabriquer des choses », a choisi la carrière artistique « pour prendre la parole ». Sa peinture parle d’écriture et, à ses débuts, elle s’est inspirée de « romans d’artistes » tels que L’oeuvre de Zola ou Le portrait de Gogol, étudiés dans le cadre de sa maîtrise à l’UQAM.

 

« J’ai réalisé que la façon dont l’artiste était représenté, c’étaient des caricatures, dit-elle. L’artiste est un loser, un alcoolique, un être destructeur. S’il est heureux, son oeuvre est pourrie. Si sa vie est pourrie, son oeuvre est réussie. Je me suis demandé si ces clichés n’étaient pas nuisibles à l’artiste réel. »

 

Si elle a voulu rectifier des choses, d’où l’expo Réponse à Zola, Marie-Claude Bouthillier n’en a pas fait pas une obsession. Elle en a néanmoins tiré cette hargne pour défendre le statut de l’artiste, en bonne clarkienne, et s’opposer au préjugé « créativité égal précarité ».

 

Elle s’est aussi opposée à ce que le texte prime sur le visuel. Dès son premier solo en 1997, à la galerie Trois Points : Demande à la peinture, expo reprise pendant deux ans, y compris en Espagne, elle explore des rapports « au romanesque » et ordonne les tableaux comme un alphabet. La série subséquente, elle, exploite ses initiales. Avec « mcb », vue notamment dans Métamorphoses et clonage, elle se fait un nom.

 

Dans ses projets d’écriture, « la peinture servait de support ». Puis, le support, ou la surface deviennent l’enjeu. « Je voulais comprendre cette chose qui reçoit, cette chose entre moi et le monde, dit celle qui n’a cessé de représenter des toiles, des voiles, des drapés. Il y a un plaisir à représenter cette surface. C’est un jeu, une mise en abîme. »

 

Le prix Ozias-Leduc la rassure, d’autant plus « qu’on l’accorde sans qu’on le demande », dit la lauréate, qui n’hésite pas à se questionner. « Je me demande si je fais de la peinture. Je fais plus du dessin. Je travaille la ligne, pas l’empâtement. C’est la ligne seule qui donne des effets. De plus en plus. »

 

Sur ses projets d’avenir, Marie-Claude Bouthillier ne s’avancera que pour dire qu’ils mettront un pied dans la sculpture, dans l’objet. Faut-il s’en étonner ? « La peinture, pour moi, c’est un objet, c’est tangible », estime-t-elle.

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