Liberté est un maître mot pour qui a signé Refus global

Jérôme Delgado Collaboration spéciale
À 88 ans, Marcel Barbeau n’a pas cessé de peindre ni de sculpter.
Photo: - Le Devoir À 88 ans, Marcel Barbeau n’a pas cessé de peindre ni de sculpter.

Ce texte fait partie du cahier spécial Prix du Québec 2013

Quatrième signataire de Refus global à recevoir le prix Borduas et probablement le dernier — après Riopelle (en 1981), Marcelle Ferron (1983) et Fernand Leduc (1988) — Marcel Barbeau atteint en 2013 une consécration qui lui était depuis longtemps due.

Entre joies et déceptions, davantage qu’entre la célébration et la colère, mais néanmoins partagé : Marcel Barbeau, un des derniers pionniers de la modernité picturale à être encore vivant, connaît un automne à cheval sur les émotions. Il reçoit le prix Borduas, le plus illustre des honneurs dans les arts visuels, au moment où il échoue à un prestigieux concours d’art public, à Toronto, de plus d’un demi-million de dollars.

Décoré déjà en mars du Prix du gouverneur général en arts visuels et arts médiatiques, puis en mai du prix Louis-Philippe-Hébert, décerné par la Société Saint-Jean-Baptiste, Marcel Barbeau complète un inusité tour du chapeau en devenant le 37e lauréat du prix Borduas. L’année 2013 serait-elle celle de sa grande consécration ?

Peut-être, mais le peintre et sculpteur ne s’emballe pas trop dans la célébration. « Un peu tardive », profère-t-il au sujet de cette reconnaissance. À 88 ans, sans cacher l’âge qui le recourbe et le ralentit, Marcel Barbeau garde toute sa tête, demeure alerte, les griffes aiguisées.

« Il fallait s’attaquer aux structures pour que les connaissances nous parviennent », dit-il en référence à la censure de la Grande Noirceur dans laquelle il a grandi. Aujourd’hui, d’autres embûches pour la transmission du savoir l’enragent. « À Radio-Canada, c’est de plus en plus la hache dans la culture. Nous ne sommes presque rien », constate-t-il.

Sa consécration actuelle, mais tardive, ainsi que l’inexistence d’une véritable rétrospective de son travail dans un musée, il les associe à ce silence radio. Lui qui « espère transformer le monde » par son art, il arrive difficilement à rejoindre un public. « Ce n’est pas pour moi que c’est grave, c’est pour la culture », assure celui dont la peinture porte un message de liberté depuis des décennies.

À l’oeuvre

À 88 ans, Barbeau n’a pas encore cessé de le livrer. Dans son atelier baigné par la lumière en provenance du canal de Lachine, un tableau repose sur le chevalet. Il fait partie d’un ensemble en fin de réalisation, axé sur la force d’une courbe sur fond monochrome. Série actuellement exposée à Paris, à la galerie Chauvy, connue pour son penchant pour les grands maîtres de l’abstraction.

Pas tellement loin, sur une table, se trouve la maquette en cours de construction d’une sculpture en cèdre destinée à sa fille Manon. Un cadeau d’ombre et de lumière, haut de 12 pieds, expression sans doute de l’ambivalence de ses états d’âme. Le laminé de sa proposition pour le complexe d’habitation Concord Adex Place, à Toronto, repose tout près. Le concours a pris fin il y a deux semaines.

« J’ai voulu faire une sculpture ouverte, par opposition à ces blocs d’étages, fermés. L’oeuvre gagnante est une série de blocs, aussi. Le jury était de ce bord », maugrée l’homme.

Marcel Barbeau a souvent été considéré comme la roue la plus libre du mouvement automatiste et de la grande famille de l’abstraction. Il est parmi les premiers, au tournant des années 1950, à se rendre à New York et à y rencontrer le milieu artistique. Fidèle au principe de la spontanéité du geste, il est aussi parmi les premiers à plonger dans l’aventure plus formaliste des années 1960 et devient une des principales figures au Canada de l’op art. On dit de lui également qu’il a décloisonné, par ses expériences des années 1970 avec des danseurs et des musiciens, les limites du tableau, bien avant que l’épithète de « multidisciplinaire » ne fasse partie du vocabulaire.

Ces changements stylistiques, autant sa traversée vers la peinture hard-edge que son retour vers la peinture gestuelle dans les années 1970, n’ont pas été programmés, assure-t-il. « Je ne décide de rien, dit-il. Je suis influencé, ce n’est jamais volontaire. »

Toute sa carrière, depuis 60 ans, il l’a menée dans cet esprit de « grande liberté » et d’ouverture autant pour l’évolution que pour le temps présent.

« La pensée, c’est une chose qui se sent, qui évolue. Ce n’est pas une chose fixe, croit-il. Un tableau est la projection d’un moment. Un autre tableau, un autre moment. Comme nos vies, faites de moments différents. Il faut s’exprimer [sur une toile] comme on exprime de la joie ou de la colère. Après, ce sont des sentiments mélangés. »

Entre prix et expositions

 

À 88 ans, Marcel Barbeau n’a pas cessé de peindre ni de sculpter. Comment cela serait-il possible, lui qui vient de connaître une année forte en émotions ? On le couvre de prix, mais on ne l’expose pas. Du moins, pas assez à son goût — les galeries Michel-Ange et TD Lounge, à la Maison du jazz, lui ont quand même ouvert leurs salles en 2013 et 2012 respectivement. L’âme vive qu’il est demeure à l’affût de créativité, fréquente encore les salles de musique, notamment celles dédiés aux sonorités contemporaines.

« L’expression directe existe en notation musicale. Il y a des ruptures, des attentes, des moments de hausse de ton. Des choses qui rompent avec la monotonie », explique Barbeau le mélomane.

C’est un peu ça que lui, peintre et sculpteur, a cherché et cherche toujours à faire.


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Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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