Architecture - Et l’escalier extérieur s’imposa au pays du triplex

Ce texte fait partie du cahier spécial Plateau Mont-Royal
Si le Plateau compte de magnifiques exemples d’architecture publique et institutionnelle, commerciale et industrielle, ce sont les constructions résidentielles qui retiennent aujourd’hui notre attention. Celles qu’on appellera longtemps, et non par hasard, les maisons types : le fameux triplex, emblème du Plateau.
Avant 1850, ne seront tracés que les grands axes entourant ce qui ne s’appelle pas encore le Plateau-Mont-Royal : à l’est, il y a le chemin Papineau, à l’ouest, le chemin Saint-Laurent, borné au sud par la rue Sherbrooke et au nord par les carrières des Bellaire. À l’intérieur de ce quadrilatère, on voit apparaître quelques rues, dont Coloniale, de Bullion et Hôtel-de-ville. À l’époque, le parc Lafontaine est un champ de manoeuvres militaires.
En 1860, Montréal inaugure son tramway hippomobile, une innovation qui donnera son élan au développement du Plateau-Mont-Royal, qui était auparavant trop difficile d’accès à pied par la côte Sherbrooke. À l’angle Saint-Laurent et Rachel, c’est le marché public qui cimente le nouveau village. Puis, lentement les villages deviennent des quartiers, et c’est en 1900 que se dessinent les limites du Plateau-Mont-Royal d’aujourd’hui. Déjà à l’époque, un important boom de construction en fait le quartier de Montréal ayant la plus forte densité de population.
Duplex et triplex apparaissent
Cette densité résulte d’un long historique qui date de bien avant 1900 : « Au départ, c’est un milieu rural où on retrouve des maisons et de petits bâtiments, qui seront ensuite remplacés par de petites maisons ouvrières dans lesquelles se retrouve beaucoup de monde. Aujourd’hui, dans les quartiers centraux, les gens occupent presque 500 pieds carrés par personne ; à l’époque, le même espace pouvait loger jusqu’à neuf personnes », nous dit Luc Noppen, professeur, historien d’architecture et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain de l’UQAM. Quartier ouvrier par excellence, donc, le territoire est alors couvert de maisons à deux étages et donc à deux logements, qu’on appelle « maisons à logements multiples ». Les résidants ont pour la plupart été chassés des quartiers plus anciens, comme le faubourg Saint-Laurent, incendié en 1852.
Une réglementation importante voit le jour à Montréal en 1880 : l’approbation du plan de lotissement est maintenant obligatoire et la Ville impose l’alignement des constructions sur une marge de recul d’une dizaine de pieds de la bordure de la rue. Ainsi, le cadastre se standardise et on obtient des lots de 25 pieds de largeur qui s’étendent jusqu’à la ruelle, sur une profondeur de 70 à 120 pieds. C’est la naissance des maisons en rangée. « Les terrains des duplex et des triplex ne sont pas très différents, mais, quand apparaît une pression pour la densification, apparaît aussi la figure du triplex vers 1890, et ça devient la maison typique du promoteur », explique M. Noppen.
Jusque-là, les maisons ouvrières avaient été construites une à une ou en petites séries, et, ce qu’on voit à partir de 1890, ce sont des constructeurs qui peuvent ériger jusqu’à 25 maisons dans une même série. Le duplex ou le triplex : « C’est la maison qui se réduit à sa figure essentielle : c’est une boîte de bois habillée de briques sur lesquelles il n’y a presque pas d’ornements. C’est pour des raisons de sécurité et de salubrité qu’on a sorti les escaliers », continue Luc Noppen. Nous sommes à une époque où la spéculation immobilière se fait galopante et c’est elle qui fait naître le triplex : « La façon la plus rentable de développer un terrain qui commence à coûter cher, c’est d’avoir le plus de façade sur rue et ça commande aussi la construction sur l’ensemble de la parcelle vers l’arrière. On a un bâtiment qui devient alors très long. » Luc Noppen va même jusqu’à dire que le triplex, « avant même d’être une habitation, est un système de production architecturale ».
Logements multiples
Évidemment, le triplex répond à des impératifs en matière de logement. L’appellation « plex » est assez récente, elle apparaît dans les années 1970. « On les a longtemps appelés “ maisons à logements multiples ”, mais tout d’abord, dans le langage populaire, on les a appelés des “flats” », raconte M. Noppen. Ce sont les spécialistes qui se mettent à observer les conditions du logement à Montréal qui, eux, vont utiliser le terme de « maison type » : celle qui est très longue et très étroite, qui possède deux ou trois étages… Ce terme apparaît dans les années 1920, alors que le triplex est au sommet de sa gloire.
On encense aujourd’hui les logements des triplex du Plateau, mais, à l’époque de leur construction, il en allait tout autrement : « On parle du cercueil du pauvre. Le défaut de ces logements, ce sont les pièces très étroites en enfilade, dont très peu sont éclairées. Il ne faut pas oublier que ce qu’on considère aujourd’hui comme un beau “ salon double ” servait à l’époque, la nuit venue, à coucher plusieurs personnes. »
Si tous les triplex se construisent sur les mêmes plans et se ressemblent grandement, on ne peut pas dire qu’ils ont été érigés à une époque où on appréciait le mouvement moderne qui accepte l’uniformité. Il y avait une obligation de se distinguer avec de subtiles différences : « Ça peut être le linteau avec un castor ou une fleur de lys ou un travail plus ou moins ouvragé sur les balcons ou sur l’amortissement de la corniche. Chaque constructeur voulait se démarquer des autres et ça finit par constituer une infinie variété. »
Maisons bourgeoises
Il existe une version bourgeoise de la maison en rangée, qui est la maison contiguë. Celle-ci est construite individuellement et non pas en série. « C’est le même type architectural, on peut aller de la simple boîte de bois à la maison beaucoup plus articulée avec de la pierre de taille en façade et avec des ornements plus détaillés », nous raconte Luc Noppen en songeant aux maisons des rues De Lorimier et Saint-Hubert. Mais, encore une fois, des considérations économiques dictent les règles : « Quand le constructeur paie un lot plus cher parce qu’il est situé dans une avenue plus large et bordée d’arbres, le prix justifie la construction d’une maison plus chère. Quand les gens veulent une maison plus individualisée, on peut embaucher un architecte ou un dessinateur. Comme on peut difficilement modifier les plans intérieurs, on se concentre sur les détails intérieurs et extérieurs, qui, eux, sont infinis. »
Difficile de parler du Plateau et de ses triplex sans parler de ces fameux escaliers en colimaçon, en S, en T, en L. Ils apparaissent dès la naissance des escaliers extérieurs, pour des questions de sécurité, et, comme un escalier droit occupe beaucoup d’espace, très vite on a cherché des moyens pour faire en sorte qu’il prenne moins de place, d’où sa forme qui souvent se tortille.
Si le triplex montréalais n’est pas unique dans l’histoire de l’architecture nord-américaine, c’est ici qu’il est le mieux conservé : « À Baltimore, on en trouvait beaucoup, dans certains quartiers de New York et de Boston aussi. Mais, à Montréal, contrairement à Baltimore, on a conservé les triplex ! En raison de l’étalement urbain, on n’a pas eu à démolir le Plateau pour faire place à de nouvelles constructions, on est allé les bâtir ailleurs. C’est ainsi que le triplex est devenu un mythe total et de culture profonde ; encore aujourd’hui, dans certains quartiers, on construit presque de la même manière, c’est un archétype très fort. »
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