Chorégraphie aérienne

Quand ils se meuvent, les bâtons ondulent dans les airs, générant des sons percussifs toujours empreints de langueur.
Photo: Paul Litherland Quand ils se meuvent, les bâtons ondulent dans les airs, générant des sons percussifs toujours empreints de langueur.

Les oeuvres de Jonathan Villeneuve font partie de celles qui s’éprouvent avec tout le corps. Cette propension ne se dément pas avec la plus récente installation électromécanique de l’artiste chez Oboro, où l’immersion physique gagne même en raffinement. Comme le relève si bien la spécialiste des arts médiatiques Nicole Gingras dans l’opuscule de l’exposition, le travail engage cette fois « une expérience d’apesanteur, de flottement ». Ce nouveau registre a en un sens quelque chose d’encore plus déstabilisant.

 

Dans la grande salle d’Oboro où se situe le coeur de l’installation, il n’y a plus, comme par le passé, de dispositifs au sol (rails, structures de bois ou autres supports). Tout se trouve plutôt déployé depuis le plafond, des armatures légères qui suspendent par des fils des bâtons jaunes à l’horizontal. Quand ils se meuvent, les bâtons ondulent dans les airs avec plus ou moins d’amplitude, générant des sons percussifs toujours empreints de langueur.

 

Il y a également le son diffus du vent qui souffle et qui participe de l’étonnante sensation de voleter là où, pourtant, la matérialité volontairement dévoilée du dispositif, mais pas de la mécanique, se fait des plus prosaïques, comme dans ses moulures de plancher en MDF qui servent de boîtiers au plafond. Villeneuve prouve encore son aptitude à faire expérimenter le merveilleux dans le banal même le plus standardisé.

 

Pour autant qu’elle soit aérienne, cette chorégraphie hybride les références aux territoires terrestres, refusant d’en épouser une seule franchement. Les bâtons jaunes forment parfois une ligne virtuellement continue, qui se découpe sur le fond peint en noir de la pièce. Cette vision rappelle une route qui défile, progressivement révélée au regard lors d’un trajet nocturne, à vélo, disons.

 

Voilà, entre autres, ce qui déstabilise : ce bitume est imaginaire et ne se trouve pas sous les pieds. Les bâtons affirment par ailleurs dans l’espace une ligne horizontale qui en soi évoque une convention du paysage. Lorsqu’ils s’animent de leur danse indolente, ils font penser aux flots tranquilles de l’eau et c’est alors que tout se met à tanguer comme si nous étions dans une embarcation. Du reste, un cartel nous fait passer de la mer au désert en nous apprenant que les bâtons peints sont des branches de cactus.

 

À travers ses allusions à des paysages imaginaires et sonores, l’installation entraîne une permutation constante de l’espace qui semble contraire au phénomène accru de géolocalisation des personnes. L’expérience de l’oeuvre instaure un flottement dans l’expérience du temps et de l’espace là où les technologies actuelles s’empressent constamment de quantifier et de compiler dans une perspective de rendement, d’efficacité voire de surveillance.

 

La technologie numérique est d’ailleurs bien présente dans l’exposition par le truchement des écrans, à l’entrée, qui permettent de visualiser les mouvements actionnés en temps réel de l’installation. La modélisation résume en un regard le caractère graphique de l’installation en mouvement qui, elle, avec ses mécaniques simples, garde quelque chose d’artisanal, loin du spectaculaire. L’autre force de ce travail est de mettre l’accent sur la situation temporaire que chaque visiteur fera sienne, mettant ainsi en péril la conception de l’art comme objet. C’est dire donc comment l’expérience sur place s’impose pour cette exposition qui en est déjà à sa dernière journée.

 

 

Collaboratrice

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