Peinture, entre l’essence et l’excès

Avec l’installation Les entre-deux, Guillaume La Brie mêle contenu et contenant, se servant des murs de la galerie Trois Points comme matériau artistique.
Photo: Guy L’Heureux Avec l’installation Les entre-deux, Guillaume La Brie mêle contenu et contenant, se servant des murs de la galerie Trois Points comme matériau artistique.

La deuxième édition de Peinture extrême réunit une vingtaine d’expositions en autant de lieux. Certaines d’entre elles sont déjà à l’affiche, d’autres n’ouvriront que dans les prochains jours. Voici un regard à mi-parcours de l’événement.

Les bonnes idées gagnent parfois à ne pas être répétées. À la manière de l’industrie du cinéma, qui ne se gêne pas pour créer des suites à un produit réussi, l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC) a cru bon de ressusciter l’événement estival Peinture extrême, trois ans après la première et supposée seule édition. Or il manque à la nouvelle version l’audace et l’esprit fédérateur à l’origine du projet.


En 2010, l’idée était née de l’effort de plusieurs acteurs - notamment le galeriste René Blouin et l’artiste et commissaire Benjamin Klein. L’ensemble n’était pas exempt de ratés, mais on pouvait lire dans « peinture extrême » le besoin de faire le point sur les nouvelles avenues, très larges et complexes, empruntées de nos jours par ceux qui se qualifient de peintres.


En 2013, ceci est non seulement mieux fait ailleurs - la double expo Projet peinture qui vient de se conclure à la Galerie de l’UQAM -, mais un grand fourre-tout ne suffit plus. Il faudrait définir ce qu’on entend par « extrême », si ce que souhaite l’AGAC est de faire de cette série d’expos une biennale estivale.


Fédérateur, l’événement le demeure néanmoins. Elles étaient seize galeries en 2010. Elles sont vingt cet été. Si Peinture extrême a certainement pris du poids, il a perdu de belles plumes avec l’absence des René Blouin, Roger Bellemare et Joyce Yahouda. Chaque enseigne fait sa petite affaire comme elle l’entend, l’événement étant un véritable collage d’expos.


L’audace, elle, semble en voie de disparition. Des galeries de pointe se contentent d’une sorte de best-of de leur équipe, tant du côté de l’édifice Belgo (Laroche/Joncas et Hugues Charbonneau, par exemple) que du côté de la Petite Italie, où les Lacerte, Yves Laroche et la moins conformiste BAC se partagent un bâtiment. Dans Saint-Henri, la Parisian Laundry offre son habituelle Summertime in Paris. Plutôt conservateur comme extrémisme.


Il y a quand même de bons coups. De très bons lorsque le côté extrême de la peinture est pris pour un geste radical. La galerie Trois Points, au Belgo, se démarque par le ton de son expo, Cadrer le tout. Elle s’ouvre notamment sur la série Au-delà des signes. Il s’agit de sept tableaux blancs de Mathieu Grenier qui poussent la monochromie en dehors du formalisme pur.


Si on ne tient pas compte de la peinture qui recouvre le support mural, la matière picturale chez Grenier brille par son absence. Or le sujet peinture demeure. Ce jeune artiste joue les radicaux sans faire du Malevitch. Ses tableaux, ses supports en plâtre, reprennent la silhouette d’exemples célèbres de la peinture du Québec, de Nature morte, oignons (1892) d’Ozias Leduc aux cercles de Cirque (1971) de Claude Tousignant, tous tirés de la collection du Musée d’art de Joliette.


Réflexion radicale


L’ensemble se lit comme une suite de formes géométriques diverses, des plus simples, qui forment, une fois qu’elles ont intégré l’histoire, une grande famille. La mémoire, collective ou individuelle, étant ce qu’elle est, il est difficile de mettre une image sur ce que les cartels identifient. « Blanc » de mémoire ? Voilà en tout cas une belle réflexion, radicale, au moment où le musée lanaudois, fermé pour rénovations, s’est mis au silence.


Cadrer le tout présente trois autres artistes, dont la pratique donne à la peinture du volume. Mathieu Lévesque fait aussi dans la géométrie, avec des polygones colorés, dont l’un est incisif comme une pointe de flèche. Guillaume La Brie et Nicolas Fleming intègrent un vocabulaire proche de l’installation, et de la destruction, et transforment l’espace. À noter que la directrice de la galerie, Émilie Grandmont Bérubé, a confié à une commissaire de la relève, Maude Hénaire, le soin de monter cette expo. Un modèle de pause estivale dont il faudrait s’inspirer.


Dans le même Belgo, la galerie Hugues Charbonneau s’en tient peut-être à ce qu’elle a présenté au cours des derniers mois ; son expo Point, ligne, plan appelle à apprécier la peinture pour son essence. Une essence répétée de manière convulsive, comme chez Marie-Claude Bouthillier ou chez Julie Trudel, ou exprimée avec la plus grande précision, comme le font Tammi Campbell ou Jean-Benoit Pouliot.


Quelques galeries ont préféré miser sur une seule pratique. Parmi celles-ci, la galerie Simon Blais, dans le Mile-End, présente des tableaux de Louis-Philippe Côté, des compositions de type sfumato, très vaporeuses, inspirées d’images captées sur le Web.


Le coup de foudre vient cependant de Martin Golland, qui bénéficie de son premier solo à la galerie Antoine Ertaskiran, dans Griffintown. La dizaine d’huiles allient avec doigté paysage construit et nature, jouent sur différents tableaux à la fois. Tableau dans le tableau, image-miroir, représentations illusoires et gestualité très présente… Malgré le chaos relatif et la densité des compositions, ça se tient admirablement, sur un fragile équilibre. Voilà, sans doute, l’extrême richesse de la peinture.


 

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