Le pari gagné de Papier

Papier, la grande foire de l’Association des galeries d’art contemporain, gagne en visibilité et en taille. Toujours au coeur du Quartier des spectacles, son chapiteau déménage sur le terrain jadis occupé par le Spectrum. Avec 42 galeries d’ici, de l’Ontario et de l’Ouest canadien, Papier13 se veut toujours un événement fédérateur, ouvert tant aux VIP qu’au grand public.
Le collectionneur et conseiller en acquisition Matthieu Gauvin raffole des oeuvres sur papier. Sa collection, entamée il y a une dizaine d’années, est composée en grande partie de dessins et de photographies, de quelques estampes aussi. C’est lui qui a monté la première foire Papier en 2007, qui marquait le retour à la vie (active) de l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC).
Jeudi, Papier13, sixième foire du genre organisée par l’AGAC, ouvrira ses portes. Pour un collectionneur passionné, voire compulsif, comme Matthieu Gauvin, cette « occasion de faire du magasinage en un seul lieu » marque l’un des moments forts de l’année en art contemporain. « C’est une grosse fête, un événement fédérateur, collégial même. Il y a un esprit de collégialité entre les marchands vraiment intéressant », résume-t-il.
Matthieu Gauvin n’est plus dans l’organisation de la foire depuis longtemps. Il en demeure un fervent allié, lui qui clame avoir toujours aimé le papier, son côté fragile - « il faut en prendre soin, l’encadrer, ne pas l’exposer n’importe où dans un appartement ». Dès le début, il a cru dans le potentiel d’un tel événement, même s’il a fallu inventer tout avec rien, sinon une AGAC surendettée.
« C’était très dur de lancer une foire avec aussi peu de budget, alors que j’imaginais ce qu’elle est [devenue] aujourd’hui. Il fallait passer par là, persévérer. Personne n’y croyait, j’obligeais les galeries à y participer. Le pari est gagné », croit-il.
En progression
Avec 42 galeries inscrites, soit trois fois plus que la quinzaine de 2007, un budget de 400 000 $ et des promesses d’achat de 70 000 $ et plus de la part d’entreprises, Papier13 a les reins solides. La foire montréalaise, deuxième au pays derrière l’intouchable Toronto International Art Fair (TIAF), est même devenue pancanadienne.
Depuis deux ans, Toronto envoie une délégation. Cette année, des galeries de Calgary (Trépanier Baer), d’Edmonton (DC3 Art Projects) et de Vancouver (Republic Gallery) s’ajoutent. En tout, douze kiosques seront tenus par des marchands établis hors du Québec, tel que les réputés Torontois Paul Petro et Clint Roenish. Du côté local, c’est le retour de René Blouin qui fait jaser dans les corridors du Belgo.
Comme le dit la directrice de l’AGAC, Julie Lacroix, Papier a « le vent dans les voiles ». « Il y a plein de galeries qui veulent participer, dit celle qui continuait à recevoir des demandes une fois la période d’inscription terminée. Bien que la foire prenne de l’expansion, la croissance n’est pas l’objectif, mais le raffinement, le haut de gamme. »
Entre popularité et raffinement, entre le désir d’attirer toujours plus d’amateurs - on vise 12 000 visiteurs, 2000 de plus qu’en 2012 - et le souhait de ne pas copier la TIAF, trop grosse pour plusieurs, Papier se retrouve, en 2013, à la croisée des chemins. Littéralement : le chapiteau blanc, devenu son trait identitaire, s’élève cette fois à l’angle des rues Sainte-Catherine et De Bleury - et non plus à l’ombre du Wilder, le bâtiment hors d’usage devant le cinéma Impérial.
« Il faut aller vers la création de pointe pour ne pas faire comme à la TIAF, insiste Matthieu Gauvin. C’est l’enfer, la TIAF : le contemporain d’un bord, le marché secondaire de l’autre et, dans le fond, des pots de fleurs en masse. Le plaisir à Papier, c’est aussi de pouvoir en faire le tour en deux heures. »
Séduire le curieux et l’amateur
L’AGAC a fondé sa foire sur deux principes : le caractère intime, propre aux oeuvres sur papier, et la démocratisation de l’art. Julie Lacroix croit qu’avec une dizaine d’autres galeries, Papier serait encore de dimension humaine. Elle pense éventuellement à attirer des galeries étrangères. Elle tient aussi à garder l’entrée libre, qui correspond au mandat de vulgarisation de l’association qu’elle dirige. Or plusieurs galeristes estiment qu’un prix d’entrée, même bas, permettrait de décourager les faux amateurs.
« Dans toutes les grandes foires du monde, il faut payer 30 $, 25 $. Ici, c’est gratuit. Quelques ajustements sont nécessaires si on veut faire une foire de collectionneurs et non pas une foire de grand public », commente Donald Browne, qui a siégé au comité d’organisation de Papier13.
Pour 2014, on pense à une formule mixte, avec journées gratuites et journées payantes. « Il faut arriver à jouer entre les deux clientèles, soutient Julie Lacroix : séduire le curieux et le vrai amateur. »
Fait à noter, si Papier est en croissance, la TIAF est devenue à ce point énorme qu’elle serait en déclin. Lors de la dernière édition, à l’automne 2012, plusieurs galeries québécoises sont revenues de Toronto avec si peu de ventes qu’elles s’absenteront lors de l’édition de 2013. Parmi elles, des enseignes de premier plan : Roger Bellemare, Simon Blais, Donald Browne, Joyce Yahouda.
Il n’est plus question de convaincre de la pertinence d’une foire consacrée aux oeuvres sur papier. Matthieu Gauvin, qui conseille aujourd’hui les collectionneurs, est rassuré. Il n’a plus à justifier leur valeur. « Un mode d’expression préparatoire ? Le dessin n’est plus ça », dit-il. Ce changement de mentalité, il le perçoit notamment dans les ventes records dans le monde, comme celle de Tête d’un jeune apôtre, une oeuvre sur papier de Raphaël qui a trouvé preneur en décembre pour 48 millions de dollars.
Collaborateur
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Le gotha de Papier13
À la galerie Joyce Yahouda : une mosaïque d’œuvres d’artistes de la galerie parmi lesquels Sarah Bertrand-Hamel, qui fabrique elle-même ses papiers, puis les coupe, les cabosse, les coud. « Le dessin apparaît dans le découpage et la couture », dit celle qui voit dans la détérioration du papier une richesse.
À la Parisian Laundry : des sculptures en papier mâché de Cynthia Girard et de Jaime Angelopoulos, ainsi que des encres sur papier d’Alexandre David, dessins de sculptures jamais réalisées. « Ce sont des sculptures virtuelles. Je m’engage à ne jamais les réaliser, mais celui qui achète les dessins est libre de les fabriquer », dit l’artiste.
À la galerie Donald Browne : une bonne diversité de travaux, parmi lesquels des dessins de Jim Holyoak, des photos de Raymonde April, des dessins du photographe Gabriel Coutu-Dumont et une dérision signée Valérie Kolakis, une punaise en or qui épingle la note « Back in 5 minutes ». « Une œuvre très drôle, dit le galeriste, qui met en question la valeur et la temporalité de l’art. »
À la galerie Simon Blais : des photos de Michel Campeau, qui poursuit ses explorations autour de la disparition annoncée des chambres noires, ainsi qu’une sérigraphie sur plexiglas d’Edmund Alleyn jamais exposée et datant des années 1970.