De souvenirs et de fragments

Raymond Lavoie, DATA - 1 [détail], 2012, Matériaux divers sur toile, verre, bois.
Photo: Galerie Graff Raymond Lavoie, DATA - 1 [détail], 2012, Matériaux divers sur toile, verre, bois.

Raymond Lavoie et Vivian Gottheim sont tous deux un peu peintres et un peu photographes. Si leurs pratiques semblent avoir peu de chose en commun - le premier est plus proche de la rigidité formaliste, la seconde, d’une exubérance gestuelle -, leurs solos simultanés trahissent des intérêts similaires. L’idée de la représentation, ou de la visibilité, la question de la mémoire et la recherche de la trace sont au coeur des deux expositions, l’une à la galerie Graff, l’autre au centre Occurrence.

Plasticien à ses heures, auteur notamment de grands tableaux monochromes, Raymond Lavoie travaille aussi l’image, comme photographe ou comme collecteur de photos trouvées dans les brocantes ou dans les livres. Chez lui, l’essentiel, ce degré zéro de la peinture mis en place par Malevitch, et la trace documentaire propre à la photo s’y donnent rendez-vous. Cette fois, plus que jamais probablement, la rencontre invite à la confrontation.


Fidèle à Graff depuis des décennies, Raymond Lavoie propose pour ce quatrième solo rue Rachel en huit ans un ensemble écartelé entre l’accumulation de données et l’absence de celles-ci, leur effacement. L’expo, qui regroupe huit oeuvres, s’intitule justement Data. À l’instar de nos ordinateurs qui accumulent données sur données, les pièces de Lavoie finissent par n’en montrer que des fragments.


La série de collages Data, trois immenses panneaux que dynamise une pléthore de documents (photos, cartons d’invitation, croquis), est garnie de ces détails du passé qui forment une mémoire, une vie. Autobiographiques, ces oeuvres ont leur intérêt ailleurs, notamment dans l’exploitation formelle de ces papiers, dans la manière de les présenter aussi. Lavoie joue sur la superposition, la transparence et même la coloration de certains éléments pour tenter de mettre un semblant d’ordre à cette masse d’information. Même les punaises qui servent à épingler les documents contribuent à animer la composition.


Le travail de Raymond Lavoie repose sur la manipulation. Les encres sur photographie Missing Data et les peintures monochromes sur aluminium homonymes évoquent, à différents niveaux, la réalité immatérielle de l’informatique. Des petites retouches rectangulaires, qui brouillent l’image d’une part ou créent des vides d’autre part, nous confrontent à la perte de mémoire et rendent ces ensembles très concrets.


Missing Data (gris) et Missing Data (jaune), qui se composent de plusieurs panneaux, sont particulièrement présents dans l’espace physique de la galerie, d’autant plus en comparaison avec les très touffues Data. Si elles peuvent être très musicales à la manière des compositions du plasticien Yves Gaucher, ces Missing Data imposent à celui qui les regarde son propre reflet. Or ce sont les trouées rectangulaires sur la surface que l’on retient. Les pertes, les absences, les disparus seront toujours davantage perceptibles que les images encore présentes.


Photos dépeintes


La mémoire visuelle, chez Vivian Gottheim, est intrinsèque aux oeuvres qu’elle expose à Occurrence. Les trois grandes acryliques au coeur de l’expo D I A fonctionnent comme des illusions d’optique. À la manière de Raymond Lavoie, Gottheim procède par extraction, par effacement. Si les fins sont fort distinctes - ce sont des figures ou des paysages qui surgissent sur la surface -, l’artiste montréalaise travaille aussi autour de la mémoire et, dans ce cas en particulier, du souvenir de voyage.


Gnou, Direction Montmorency, Mégantic, les titres des oeuvres pointent le sujet représenté. Ces peintures, éclatantes par leur traitement bicolore surnaturel - un jaune et rose pour l’animal qui broute l’herbe, par exemple -, découlent néanmoins de photographies très réalistes. Elles accentuent ainsi les effets de contraste et la profondeur de champ et s’accordent avec la nature bipolaire de notre vision.


Plusieurs étapes précèdent le rendu final. Vivian Gottheim recouvre son image entièrement d’acrylique pour ensuite en retirer, minutieusement, des éléments qui font réapparaître son sujet. Voilà un travail physique, engageant pour l’artiste et dépendant autant de son doigté que de sa patience. Paradoxalement, le résultat est proche de l’image en pixels, d’un art actuel très porté par la fragmentation.


L’expo est complétée par d’autres oeuvres, dont une animation vidéo et sonore, rythmé du son de percussions, qui pousse dans une autre sphère le gnou dépeint en peinture.


 

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