Dans les méandres de l’errance

La 5e édition d’Art souterrain, inaugurée lors de la Nuit blanche, s’avère une répétition des précédentes. Malgré un nouveau thème, au demeurant fort approprié - le labyrinthe -, et une ville invitée à faire rêver - Barcelone -, cette « fête de l’art contemporain » ressasse le même discours : mettre un maximum d’oeuvres (plus de 120) en travers des piétons, pour mieux les séduire.
Dispersée en 17 zones, de la Place des Arts au complexe Les Ailes, en passant par le Palais des congrès et le 1000 de la Gauchetière, l’exposition aborde la création dans sa plus large acception. Inclusif, le parcours de sept kilomètres donne à voir de tout, une fois de plus : installations immersives, oeuvres contemplatives, d’autres ludiques, peintures, photographies, vidéos, dessins…
Derrière le noble objectif de « rendre plus accessibles les nouvelles pratiques artistiques en art visuel [sic] à un public novice », l’exposition se préoccupe surtout de visibilité. Comme ceux qui prétendent que nous gagnerions tous à avoir L’homme de Calder au coin de la rue. Selon ce discours, le salut de l’art passe par une diffusion là où les masses circulent. Peu importe comment, ou quoi.
Le tic du parachutage a néanmoins ses limites. Il s’agit peut-être de dire « voici le genre de travail que vous pourriez trouver en galerie », ce qui explique la forte présence d’oeuvres vidéo, présentées dans des modules presque fermés. Il n’y a pas meilleure illustration du cube blanc.
La venue d’une délégation catalane faisait saliver. On était curieux d’en apprendre plus sur la manière espagnole d’occuper l’espace public. Déception : les neuf Barcelonais sont tous vidéastes, très bavards en sus. Malgré certaines oeuvres fortes - dont celle de Ryan Rivadeneyra sur la destruction du progrès -, le complexe Desjardins est devenu un anodin vaste cube blanc.
Or, exposer dans l’espace public comporte d’autres enjeux, notamment celui de rompre avec les contraintes du cube blanc. Art souterrain, exposition rassembleuse disions-nous, s’en occupe aussi, heureusement. Entre le parachutage d’oeuvres et l’intégration à un environnement déjà encombré, il ne faut pas s’étonner si les meilleures oeuvres sont celles de cette seconde branche, qui prennent des airs discrets, voire distants.
Avec Entrée de tunnel, Loren Williams propose des photos-caméléons. Trompe-l’oeil intégré au mur qui lui sert de support, son projet peut passer inaperçu. Pourtant, il est celui qui bénéficie du plus de points d’arrêt, disséminés dans quatre sites, dont le passage qui relie les complexes Desjardins et Guy-Favreau. L’artiste diplômée de Concordia ne fait pas que répéter un motif : chacune de ses images a un détail distinctif.
Cette série d’entrées sombres et ténébreuses, pour le moins intrigantes, fabule sur l’existence d’un réseau de canaux méconnu et inaccessible creusé sous les différents bâtiments de Montréal. Onirique et parfaitement en accord avec les lieux, Entrée de tunnel est aussi d’une grande cohérence avec le thème du labyrinthe.
Le mimétisme est une approche défendue avec succès par d’autres, notamment Catherine Bolduc à la Tour de la Bourse. Sa sculpture, bâtie à
Déroute et errance sont au coeur d’une autre intervention au sol, cette fois à la Place des Arts, intitulée Petit guide instantané pour ne plus savoir où aller, de Geneviève Moisan. Ludique et au bout du compte joliment inutile, l’oeuvre propose une danse en ronde pour un seul interprète, une sorte de piège pour le passant qui se prête au jeu. Sans faire dans le camouflage, les dessins de Moisan s’intègrent tout aussi bien à leur environnement, sous l’allusion indirecte au monde du spectacle.
L’intégration à ces espaces publics peut prendre plus d’une voie. En photographie, les bons exemples ne manquent pas, entre les bureaux domestiques de Paul Litherland exposés dans un corridor de la Tour de la Bourse et les images composites du complexe Guy-Favreau, habile projet graphique d’Elise Windsor présenté dans le lieu même qui l’a inspiré.
Stephen Beckly, lui, se sert des colonnes de la Place Ville-Marie pour exploiter son propre thème sur l’identité. Les disposition et fragmentation de ses photos traduisent une judicieuse observation de l’espace architectural. Un peu comme le fait, par le biais de sérigraphies, Dominique Pétrin. Son installation Pazzazz plonge le long corridor sous la Caisse de dépôt et placement dans une myriade d’effets optiques, presque hypnotiques.
Déroute et errance. Frédéric Loury, le directeur et commissaire d’Art souterrain, a voulu avec son thème du labyrinthe évoquer la complexité des arts visuels aux yeux du néophyte. Il faut reconnaître son travail de vulgarisateur, lui qui n’a pas peur de prendre le taureau par les cornes pour faire avancer sa cause. Les nombreuses activités de médiation au menu donnent la preuve de sa belle ténacité. Reconnaissons-lui aussi son soutien à des artistes méconnus, qui forment le gros du contingent. Cube blanc ou pas, Art souterrain peut sans doute s’avérer une magnifique rampe de lancement.
Collaborateur