Des artistes, leurs discours et le politique

Le Centre des arts actuels Skol présente l’exposition Faut-il se couper la langue ?, d’Edith Brunette.
Photo: Edith Brunette Le Centre des arts actuels Skol présente l’exposition Faut-il se couper la langue ?, d’Edith Brunette.

Comme par défi ou par provocation, ça parle beaucoup dans l’exposition Faut-il se couper la langue ?. Paroles échangées dans un documentaire et des témoignages filmés d’artistes actuels se font entendre dans des conversations qui ne laissent pas indifférent pour leurs propos sur le rôle social de l’artiste et l’engagement politique. Le printemps érable a ramené dans l’actualité ces questions, qui sont complexes en raison des enjeux paradoxaux qui les composent.


L’artiste Edith Brunette est derrière l’exposition qui se frotte à un sujet aussi délicat. Pas étonnant venant d’elle qui, à l’automne 2011, dans un premier solo présenté à la Galerie de l’UQAM, montrait déjà un penchant pour les sujets politiques ; au moyen d’un dispositif incluant des bandes sonores, de textes et des images, elle soulevait une réflexion sur la surveillance par caméra dans les espaces publics.


La même démarche critique préside dans l’actuelle présentation qui, dans un dépouillement austère, met dos à dos des artistes québécois d’hier et d’aujourd’hui alors qu’ils s’expriment sur leur rapport à la société. La parole est d’abord donnée aux artistes de 1970 par le truchement d’un documentaire de Jacques Giraldeau, puis à sept artistes actifs aujourd’hui que, tout comme Edith Brunette, la grève étudiante a particulièrement interpellés.


Autour de 1968


Forcément, entre les deux générations, un monde a changé. Des liens entre les deux sont toutefois tissés, si ce n’est que par le titre de l’exposition, dérivé du documentaire de Giraldeau intitulé Faut-il se couper l’oreille ? La question est posée dans le film par l’artiste François Dallegret en référence au geste de Van Gogh, un geste de souffrance, qui s’est imposé comme un motif clé dans la conception de l’artiste maudit, ce dans quoi les artistes des années 1970 ne se reconnaissaient plus, bien qu’ils fussent restés en partie romantiques.


Qu’est-ce qui, plutôt, secouait le monde de l’art à l’époque ? Trois affiches en prélude au documentaire le rappellent de manière succincte : l’occupation par les étudiants de l’École des beaux-arts en 1968, qui allait entraîner une véritable mutation de l’enseignement des arts. La contestation visait entre autres l’élitisme qui élevait l’art et l’artiste sur un piédestal.


L’intervention de l’artiste dans l’espace social, le décloisonnement entre les disciplines artistiques, la participation du public et la prise en compte des nouvelles technologies sont les phénomènes évoqués dans le documentaire par les artistes - que des hommes - comme Jean Febelure, Richard Lacroix et Serge Lemoyne qui, eux, avaient dès le début des années 1960 contribué à redéfinir le rôle de l’artiste -ce qui n’est pas explicité dans l’expo. Elliptique, ce retour en arrière est néanmoins éloquent ; la discussion y était vive, la parole parfois radicale, et on tend à l’avoir oublié.

 

Textes de démarche


Quarante ans plus tard, la donne n’est plus la même. Le contexte qui ramène la question du rôle social de l’artiste est celui de la contestation étudiante, pas celui d’une révolution spécifique aux arts. Que peut donc l’art en temps de crise sociale ? L’artiste doit-il s’engager politiquement ? Qu’est-ce que l’engagement ? L’autonomie de l’art, sa liberté, est-elle compromise par la participation sociale ? C’est ce genre de questions, pas nouvelles mais de nature sensible et toujours pertinentes, que Brunette a posé aux artistes.


Le mode de présentation, de petits moniteurs qui diffusent les entrevues menées une à une avec chaque artiste séparément, instaure toutefois une certaine monotonie. Les propos intéresseront peut-être surtout un public initié qui aura déjà des références sur les exemples évoqués qui se rapportent après tout à une communauté locale relativement restreinte, dont Skol est un des points de ralliement. Il faut d’ailleurs souligner que cette exposition s’inscrit dans une programmation conçue sur mesure par le centre dans la foulée du printemps, avec la volonté de poursuivre les débats. Cela est en soi notable.


S’il est question dans les vidéos d’interventions que les artistes interrogés ont faites durant les manifestations, par exemple les affiches de Clément de Gaulejac et les discours politiques mis dans la bouche des participants de Sophie Castonguay, il est aussi question de leur démarche artistique, à tout le moins de la place de leur texte de démarche, un discours désormais requis dans la carrière d’un artiste professionnel, notamment soumis dans les demandes de bourses.


Le jargon qui émaille souvent les textes de démarche est révélateur d’une spécialisation qui a pour effet de refermer le cercle autour du monde de l’art. En même temps, ces textes peuvent être à propos de préoccupations sociales. Une enfilade de feuilles sur les murs donne d’ailleurs à lire des extraits de textes de démarche qui parlent justement d’un art travaillé par des questions politiques. Les fragments lus confirment l’idée reçue qu’un art à portée politique, disons-le comme ça, doit être critique - critique de la marchandise, d’un système, des institutions, de l’art lui-même… Pas d’erreur, par sa mise en forme et par les stratégies employées, l’exposition de Brunette est de cet acabit.


Il faut savoir que les textes sont de plusieurs artistes. Qu’ils ne soient pas identifiés ou distingués donne l’impression qu’il s’agit d’une multitude de voix sans origine, mais dont le propos se rejoint par des affinités, quelque part uniformisées. Cette exposition en est la révélation ; il ne s’agit pas d’une seule artiste, mais aussi de son groupe affinitaire. Cela, et la discussion qui aura lieu en galerie entre les artistes le 8 février à 18 h, contrebalance l’approche individuelle adoptée pour les vidéos, si loin avec leurs quasi-monologues de l’échange animé de 1970.


 

Collaboratrice

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