Montréal / Brooklyn: un échange entre deux villes férues d’art contemporain

La dernière fois que le Québec des arts visuels a voulu séduire New York, l’aventure s’est mal terminée. En fait, elle n’a jamais commencé : l’exposition Growth and Risk, pilotée par le Centre international d’art contemporain de Claude Gosselin, devait ouvrir le 13 septembre 2001… au World Trade Center. Onze ans plus tard, le flirt recommence mais se déroule, cette fois, en dehors de Manhattan.
Le projet Montréal/Brooklyn, dont le contenu était dévoilé jeudi soir au centre Clark, son principal artisan, se distingue du précédent rendez-vous sur plusieurs points. L’opération charme est à double sens. Montréal enverra 19 artistes à Brooklyn, parmi lesquels Aude Moreau, Julie Favreau, Sébastien Cliche et Jérôme Havre, un nombre égal à ceux que New York exposera ici. Vaste rassemblement : 16 lieux, 8 dans chaque ville, y participent.
Plusieurs expositions sont à l’affiche et chacune découle de mariages inusités entre, par exemple, une galerie privée et un espace de type « non-profit center ». Scindé en deux temps, le projet prendra son envol à Montréal, en octobre. Brooklyn recevra à son tour, en janvier.
De l’avis d’Alun Williams, le directeur de Parker’s Box, galerie du quartier Williamsburg, Montréal et Brooklyn étaient faits pour se rencontrer. « Il y a chez vous un tissu de lieux qui défendent un art expérimental similaire, dans l’esprit du moins, à celui de Brooklyn. Et vous êtes nos voisins les plus proches », dit-il à l’autre bout du fil, dans un français impeccable.
Brooklyn et tous les États-Unis ont beaucoup à gagner, croit-il, d’une traversée de la frontière. « Il y a à Montréal un grand sérieux, un professionnalisme qu’on n’imagine pas. C’est un milieu intellectuel très intéressant. Plus que celui qu’on trouve à Brooklyn et ailleurs, où le marché domine. La recherche en souffre », dit celui qui jalouse notre système de financement public de l’art.
Depuis dix ans, Alun Williams souhaitait recréer les échanges qu’il a tenus avec Paris en 2001. Il cherchait un alter ego montréalais avec qui travailler. Malgré ses nombreux séjours ici, malgré le soutien de la Délégation générale du Québec à New York, il n’y arrivait pas. Un jour, il y a deux ans, le centre Clark a cogné à sa porte.
« On avait envie de travailler avec des gens qui nous ressemblent. Manhattan n’est pas notre marché, alors que Brooklyn est plus expérimental. Il est plus détaché du marché, comme Montréal. Il y a là plus de libertés qu’à Chelsea [le secteur des galeries de Manhattan] », commentent Claudine Khelil et Yann Pocreau, qui ont mené le dossier au nom de Clark.
Le centre d’artistes du Mile-End a concocté cet échange dans la foulée de projets similaires qui lui ont permis d’envoyer, dans le passé, des artistes à Bordeaux, à Eindhoven aux Pays-Bas, ou encore à la Biennale des arts visuels de Pancevo, en Serbie. New York est apparue comme une destination à la fois naturelle et inusitée.
« Montréal est trop eurocentrée, croit Yann Pocreau. On veut toujours aller en Europe, mais pas à New York, parce qu’elle semble inaccessible. »
Les gens de Clark ont voulu un événement plus fédérateur, « représentatif du milieu ». D’où cette idée de réunir une diversité de lieux. Le rêve d’Alun Williams, qui connaît Montréal depuis 1991, était somme toute similaire. Il ne s’agissait plus que de s’entendre sur un nombre de diffuseurs et de les inviter à se jumeler.
Trois centres d’artistes (Clark, Optica et Articule), deux galeries privées (Division et [sas]), une institution universitaire (Galerie de l’UQAM), une entité parallèle (Les Territoires) et le Musée d’art contemporain, qui ouvrira le bal des expositions dans deux semaines, font partie de la manifestation. Leurs répondants sont autant des lieux inusités comme le Smack Mellon, qualifié de « Fonderie Darling de Brooklyn », que des galeries comme celles de Parker’s Box, à la fois expérimentale et tenue « à vendre pour survivre », dit son directeur.
Chez Clark, on n’est pas peu fiers d’avoir rassemblé tout ce monde, y compris le musée de la rue Sainte-Catherine. « C’est la première fois que le MACM travaille avec un centre d’artistes », souligne Yann Pocreau.
Collaborateur