Révolutions solaires

Vue de l’exposition chez Oboro
Photo: P. Litherland Vue de l’exposition chez Oboro

C'est son travail qui a fait l'image de la campagne publicitaire de la Triennale du Musée d'art contemporain de Montréal (MACM) l'automne dernier. Depuis, la figure de l'acéphale qui en était la vedette a durablement imprégné les esprits avec son disque blanc d'où, en lieu et place de la tête, émanaient des traits noirs fins, rayonnants. Ce n'était là qu'une des variations données par l'artiste Mathieu Beauséjour au motif solaire, autour duquel depuis l'été 2009 il élabore une série qui a pour sujet le mythe d'Icare.

Un pan de ce corpus est présenté en ce moment à Oboro dans une exposition qui apparaît tout aussi importante, sinon plus, que celle, sur le même thème, montrée il y a environ un an à Axe Néo 7 (Hull), et que le MACM a en partie repris cet automne. Le soleil y apparaît en de multiples exemplaires et sous diverses formes, dans des dessins, des tirages numériques et une vidéo, mais aussi par des interventions faites directement dans l'espace qui font de l'exposition un tout cohérent où rien n'est laissé au hasard. L'ensemble, pourtant, laisse pressentir une suite vertigineuse, muée par un labeur incessant contenu dans les oeuvres.

En font la démonstration les 11 dessins à l'encre de la série toujours en cours intitulée Icarus, qui résulte du geste patient et obstiné de l'artiste. Beauséjour a tiré des traits noirs à partir du centre d'un cercle — ou de deux — laissé vierge par une cache, vers les pourtours du cadre, irradiant ainsi les surfaces. D'une image à l'autre, il ne semble pas y avoir de logique qui ordonne la séquence, mais plutôt un jeu aléatoire opéré par la répétition et ses variations. Ici, un disque tronqué par le cadre génère des segments droits et continus; là, les lignes empruntent plutôt une légère inclinaison autour d'un cercle vide bien centré sur la surface qui s'anime d'un mouvement giratoire.

A priori formel, l'exercice est à apprécier pour la finesse de son exécution, que l'on retrouve d'ailleurs dans la fabrication des supports, également menée par l'artiste. Leurs caractéristiques (type de bois, épaisseur et apprêt) accentuent l'impact des dessins qui rayonnent littéralement à la faveur d'un éclairage étudié. Ils exercent aussi une attraction indéniable sur le visiteur, qui ressent leur présence physique et qui en même temps s'y perd en plongeant son regard dans les trouées illusoires.

Avec ce nouveau corpus, Mathieu Beauséjour n'est pas moins lié aux préoccupations qu'il a fait siennes depuis ses débuts dans les années 1990, à savoir, entre autres, les symboles de l'argent et leur mode de circulation. Avec le mythe d'Icare, où le soleil joue un rôle clé, l'artiste compose, en empruntant quelques raccourcis poétiques, une allégorie de la chute du capitalisme.

Symbole de puissance

Du mythe qui nous vient de l'Antiquité grecque, Beauséjour retient ce moment où le jeune Icare brûle, en s'approchant trop près du soleil, les ailes de fortune qui lui ont permis de s'échapper du labyrinthe dans lequel son père et lui étaient enfermés. L'histoire évoque le prix à payer pour avoir convoité l'impossible et abusé d'un pouvoir de surcroît gagné par un artifice. Cela ne manque pas d'à-propos à une époque où le capitalisme tardif cause les pires dommages et s'avère des plus destructeurs, pour l'environnement comme pour les humains et les sociétés.

À l'exemple de tous les empires qui ont marqué l'histoire, et pour qui le soleil était un symbole de puissance, le capitalisme, suggère l'artiste, est appelé à s'effondrer.

L'art de Beauséjour s'avère donc toujours critique, mais son approche est plus allusive que par le passé, ce qui n'est pas un tort. Les significations mythologiques et philosophiques entourant le soleil sont quant à elles multiples et équivoques. En témoignent les auteurs Claudine Hubert et André-Louis Paré dans le catalogue de l'exposition, qui est un complément aussi indispensable que séduisant grâce à sa conception graphique, signée Dominique Mousseau. Sa couverture dorée répond bellement, et sans doute avec une pointe d'ironie, à deux interventions dans l'espace qui agissent comme une parenthèse dans l'exposition.

L'artiste a d'abord transfiguré un mur à l'entrée de la galerie au moyen d'une mosaïque de papier de laiton qui réfléchit la lumière, plongeant le visiteur dans un état d'éblouissement. Il a plus loin, au fond de la galerie, suspendu un gong chinois en cuivre aux dimensions imposantes qui figurent l'image d'un soleil ou celle d'une pièce de monnaie monumentalisée. L'instrument de percussion venu de loin fait entendre l'enregistrement du battement de coeur de l'artiste, composante sonore qui contribue aussi au caractère hypnotique de l'exposition.

L'énergie solaire, à la base de la vie sur Terre, et la pulsation cardiaque de l'artiste se rejoignent dans cet objet qui règne en quelque sorte sur l'exposition. C'est le corps de l'artiste qui donne en fait la mesure de ce travail traitant des surenchères du capitalisme avec une économie de moyens frappante. C'est le cas des cinq tirages numériques, dont les motifs circulaires pleins, trouvés dans les restes d'ateliers et reproduits, contrebalancent la vacuité des disques blancs sur les dessins.

L'ambivalence est posée, force subtile de l'exposition: le soleil, ou ce qu'il représente, aspire et rejette, provoque l'élévation et la chute. Même la vidéo, courte bande jouée en boucle filmant le soleil, est des plus simples. Elle réussit pourtant à fasciner, évoquant l'ultime vision d'Icare, le désobéissant, le transgressif.

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Collaboratrice du Devoir

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