Archéologie - Les trésors bien cachés du musée de Bagdad

Bagdad - La guerre était imminente et la directrice du musée de Bagdad savait qu'un déluge de bombes allait s'abattre sur les bâtiments officiels et les symboles du régime. Certes, le grand Musée archéologique, l'un des plus importants du monde pour ses collections assyro-babyloniennes, n'était pas une cible, mais Selma Nawala Mutawalli, fonctionnaire dévouée et femme à poigne, décida d'être prévoyante. Elle fit entasser, dans 178 caisses en zinc, les 8000 pièces exposées dans les vitrines puis, avec l'aide d'un seul employé pour limiter les risques de «fuite», elle les descendit dans les sous-sols, les empilant dans une petite pièce ensuite soigneusement murée. Elle et son assistant jurèrent ensuite sur le Coran de ne pas révéler le secret.

Quand, au moment de la libération de la ville, les premiers témoins sont entrés dans le musée, ils ont vu les salles dévastées. «Les télévisions ont commencé, dès lors, à parler du grand pillage et j'étais stupéfait», raconte Ahmed Kamel, son bras droit, spécialiste des écritures cunéiformes, qui savait la plupart des collections mises à l'abri. À l'arrivée des Américains, la directrice resta muette car, à ses yeux, ils étaient des occupants. «Il me fallut beaucoup de diplomatie pour l'amener à donner la cachette», raconte Pietro Cordone, 71 ans, chargé de la culture au sein de l'administration provisoire en Irak nommée par les Américains.

Fin orientaliste, ce diplomate italien né en Égypte sut peu à peu établir une relation de confiance. Il se doutait de quelque chose. Un jour, il lui dit dans un parfait arabe: «Vous savez, c'est moi, maintenant, votre ministre.» Elle obtempéra aussitôt. Les caisses étaient intactes. Les pillages avaient seulement vidé une partie des réserves mais aussi les laboratoires de restauration. «J'en pleure encore, mais le pire a vraiment été évité», souligne Ahmed Kamel. En tout et pour tout, 3400 pièces, sur les 170 000 que comptait le musée, avaient été volées. 1200 d'entre elles ont été récupérées, dont un très rare vase d'albâtre, appelé le «vase de Warca», datant de plus de 5000 ans. Trente-trois objets importants manquent toujours à l'appel. Tout espoir n'est pas perdu car, le plus souvent, c'est grâce à l'initiative de simples citoyens que le butin revient.

En vente...

Patron d'un hôtel un peu décrépit du centre de la capitale, Abdoulatif al-Kaabi a ainsi vu débarquer trois hommes dans le hall de son établissement, dans la matinée du 21 juin. Ils lui ont demandé s'il y avait «des étrangers» qui pouvaient être intéressés par «certains objets de valeur». «Je ne voyais pas ce qu'ils pouvaient essayer de négocier avec des Occidentaux sinon des pièces d'archéologie volées», assure le patron de l'hôtel. Il n'a pas un instant songé à appeler «une police qui n'existe plus ou des soldats américains qui ne comprennent rien». Il réussit à amadouer les vendeurs. C'était bien des bracelets de bronze assyriens, des sceaux cylindriques, quelques pendentifs avec des pierres semi-précieuses qu'ils tentaient d'écouler, en tout 157 objets dérobés lors du pillage du musée au moment de la chute du régime le 9 avril.

«J'ai proposé de tout acheter et ils ont accepté», raconte Abdoulatif al-Kaabi, qui se refuse à dire le montant de la transaction: «Ce ne serait ni très digne de montrer l'ampleur de mon sacrifice, ni très sage d'étaler ma richesse.» Dès le lendemain, il s'est rendu au musée pour remettre ces antiquités.

«Beaucoup de gens ont ainsi, spontanément, rapporté des objets par patriotisme ou difficulté à les vendre», explique Ahmed Kamel, soulignant que «le musée refuse par principe de donner une récompense ou de rembourser les frais d'acquisition, afin de ne pas encourager le trafic». L'enquête pour évaluer l'ampleur réelle des dégâts subis par les collections du musée a été longue. «Il n'y avait aucun inventaire sérieux des réserves, et cela ne nous a pas simplifié la tâche», explique un des membres de l'équipe chargée de l'inventaire, constituée de magistrats et de policiers américains aidés par quelques carabiniers italiens spécialisés dans la lutte contre le trafic des oeuvres d'art. Le bilan des pertes est peu ou prou définitif. «Tout en admettant que la disparition d'une seule pièce est une tragédie, l'ampleur du pillage du musée doit être dédramatisée», souligne Pietro Cordone, seul non anglo-saxon de l'équipe de «ministres» mise sur pied par les Américains pour épauler, pendant la période de transition, leurs futurs homologues irakiens.

Réouverture dans un an

À la différence de ses collègues enfermés dans leur tour d'ivoire, il tente de donner un maximum de visibilité à son action, menée en étroit contact avec les Irakiens. Dès le 3 juillet, il avait exposé, pour une journée, les trésors de Nemrod, une extraordinaire collection de bijoux assyriens datant du VIIIe siècle avant J.-C., qui avait été mise à l'abri dans les coffres-forts de la Banque centrale.

Dans six à huit mois, cette collection devrait être exposée à Washington puis dans plusieurs pays européens. Pietro Cordone espère pouvoir rouvrir le musée de Bagdad d'ici un an, une fois que le système de sécurité hors d'âge aura été transformé. Une salle pourrait déjà être ouverte au public, celle des bas-reliefs assyriens, avec de magnifiques taureaux ailés. «Ce sont des pièces pesant jusqu'à 40 tonnes pour lesquelles les risques de vol sont moindres», explique le diplomate.

Le plus grave péril pour le patrimoine archéologique irakien est désormais l'ampleur des fouilles sauvages sur les sites. Les pièces ainsi pillées sont, par définition, non répertoriées et peuvent d'autant plus facilement être vendues à l'étranger. Le phénomène existait avant mais il a pris, depuis la chute du régime, une dimension «industrielle».

«Les pilleurs ne reculent devant rien, ils utilisent des camions, des excavatrices et travaillent sous la protection de gardes armés», souligne, inquiet, Pietro Cordone, quasiment réduit à l'impuissance. En tout et pour tout, il a sous ses ordres 1200 gardiens irakiens désarmés alors qu'il y a plusieurs centaines de sites archéologiques dans le pays. Certains sont à l'abri parce que les Américains y ont installé des QG comme à Babylone ou à Ur mais dans tous les autres, les pilleurs peuvent agir sans problème.

Tenace, Pietro Cordone avait tenté de sensibiliser l'armée américaine à ce sujet et obtenu des patrouilles en hélicoptère ou à pied.

«C'était insuffisant car, dès que les soldats étaient passés, les fouilles sauvages reprenaient. Ensuite, nous avons pensé à établir des postes fixes, mais cela posait de sérieux problèmes de sécurité pour les GI ainsi déployés sur des sites souvent très isolés», reconnaît le diplomate italien, qui espère maintenant obtenir des liaisons radio et quelques Kalachnikov pour ses gardiens. Pendant longtemps encore, les richesses archéologiques du sous-sol irakien risquent d'alimenter le marché international des antiquités.

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