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Les enfants Matteau, un cliché de Roger Charbonneau datant de 1972
Photo: Source Galerie [sas] Les enfants Matteau, un cliché de Roger Charbonneau datant de 1972

Plessisgraphe, Prisme, Photocell, le GAP, le GPP. Pour la plupart d'entre nous, ces noms et acronymes n'évoquent rien. Ils désignent pourtant d'importants collectifs de photographes québécois, actifs dans les années 1970, et seulement lors de cette décennie — d'où le fait qu'ils soient méconnus. L'exposition Déclic 70, à la galerie [sas] du Belgo, a le mérite de les ressusciter.

Derrière cette liste d'appellations se cache une vingtaine d'artistes parmi lesquels des figures clés de la photographie d'influence documentaire: Gabor Szilasi, Claire Beaugrand-Champagne, feu Pierre Gaudard, Michel Campeau, Clara Gutsche... Déclic 70, vaste entreprise de quelque 80 images en noir et blanc, présente le travail de onze d'entre eux.

Combler le vide

C'est le critique et commissaire indépendant Nicolas Mavrikakis qui a eu l'idée de ramener à notre mémoire ce pan du Québec contemporain. Son propos ne fait pas de doute. Et le fait d'ouvrir l'expo avec des coupures de presse de l'époque donne le ton. Pour celui qui a aussi une âme d'enseignant — Mavrikakis est professeur d'histoire de l'art dans un cégep —, il fallait combler ce vide.

Le discours historique est accompagné d'un autre, social. D'où le choix de Mavrikakis de privilégier le travail réalisé en collectif, au détriment de corpus individuels. Un choix logique: la démarche de ces photographes, autant par leurs sujets (les ouvriers, les quartiers défavorisés...) que par leur méthode de les documenter — prise de vue sur le vif, sans enjoliver la réalité — est portée par des enjeux populaires.

L'accrochage reflète bien cet esprit, sectionné par collectifs, par des projets précis. Il montre la photographie comme l'acte d'une collectivité, comme un engagement social. Il s'attarde donc moins à l'individu derrière la caméra.

De Prisme (Jean Lauzon et Normand Rajotte), les grands et petits formats de la série Transcanadienne sortie 109 s'alternent sur le mur, comme un tout. Les photos nous ramènent au Drummondville de 1978. Du Groupe photographique populaire (GPP), ce sont des images de taverne qui dominent. L'une d'elles, Frisé pointant du doigt, d'Alain Chagnon, est exemplaire de la proximité du photographe avec son sujet. La bière entamée et la chaise vide qu'on y voit signalent-elles que son titulaire ne s'est levé que pour prendre la photo?

Photocell (Clara Gutsche et David Miller) a une place privilégiée, pour bien distinguer ce collectif, le plus politisé. La série Milton-Park dénonce le projet immobilier qui menaçait les maisons victoriennes de ce quartier. Les scènes animées, intérieures de Gutsche s'entremêlent aux vues urbaines axées sur l'architecture de Miller.

Le Groupe d'action photographique (GAP), le plus vaste, est, paradoxalement, le moins bien représenté comme collectif. Il faut néanmoins reconnaître la qualité des projets solos de Pierre Gaudard sur les prisonniers, de Michel Campeau sur les aveugles et de Gabor Szilasi autour du boulevard Décarie — «La Rivière», comme l'énonce le lettrage d'un camion dans le trafic.

La série sur Disraeli, qui avait tant choqué pour montrer un Québec rural tel qu'il était, est bien là, par huit photos de Claire Beaugrand-Champagne et Roger Charbonneau. Mais c'est peu, l'ensemble contiendrait plus de cent clichés et a impliqué plus que ces deux noms.

Nicolas Mavrikakis a voulu faire la place à tous, ramener des grands oubliés comme cette Marik Boudreau de Plessisgraphe. La galerie [sas] peut s'avérer une des plus spacieuses, le commissaire a dû tronquer des séries qui se valent surtout comme un tout. Il a quand même le mérite d'avoir initié quelque chose. Souhaitons qu'un musée prenne la relève et l'invite à poursuivre cet hommage.

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Collaborateur du Devoir

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