L'armée de l'art

Le projet Aux quatre coins... d’ailleurs, du photographe Serge Clément, au jardin Saint-Roch jusqu’au 30 octobre.
Photo: Vincent Roy Le projet Aux quatre coins... d’ailleurs, du photographe Serge Clément, au jardin Saint-Roch jusqu’au 30 octobre.

Le mobilier urbain de la Ville de Québec devient mur d'exposition. Plusieurs interventions inusitées prennent d'assaut la Basse-Ville avec la noble intention d'améliorer la qualité de vie des résidants et d'embellir la rue.

Photographe fascinée par les objets et leur valeur mnémonique, auteure d'une série de portraits de collectionneurs (Les Antres) et elle-même collectionneuse — «Je suis incapable de jeter», admet-elle —, Ève Cadieux se paie un petit luxe cet été: la fabrication d'un cabinet de curiosités, qu'elle a photographié et qui sera dévoilé en plein air à la fin du mois dans le quartier Saint-Sauveur de Québec.

«C'est un petit luxe que de reproduire un cabinet de curiosités comme ceux des XVIIe et XVIIIe siècles. Mais ce sera un cabinet contemporain, avec un lien avec l'urbanité. C'est un clin d'oeil au passé», dit l'artiste qui rentre à Montréal prochainement, après dix années passées à Québec.

De curiosité, ce cabinet photographique n'aura pas que le nom. Il sera presque une anomalie dans le paysage urbain. C'est qu'il sera installé en hauteur, à même une boîte électrique, une des nombreuses qui font partie du décor de toutes les villes et que l'on ne voit plus tellement elles sont banales.

C'est toute une armée d'art, de photographie essentiellement, qui envahit la ville depuis le début de juin. D'abord au jardin Saint-Roch, puis, depuis cette semaine, sur une longue palissade en béton, côte de la Pente Douce. Et dans deux semaines, à travers une trentaine de boîtes électriques dans Saint-Roch, suspendues comme celle investie par Ève Cadieux, ou de pied, comme la plupart.

Aux commandes de cette armée: Exmuro arts publics (www.exmuro.com), une boîte toute jeune, fondée en 2007, qui croit que des interventions esthétiques bien organisées contribuent à améliorer la qualité de vie dans une cité. Les programmes mis en place ont reçu l'appui de différents paliers publics, dont celui la Ville de Québec.

«On sort des sentiers battus, soutient Vincent Roy, fondateur et directeur d'Exmuro. Non seulement parce qu'on sort l'art des murs des galeries, mais parce qu'on se sert du mobilier déjà en place.»

Au jardin Saint-Roch, ce sont les colonnes lumineuses qui sont devenues support artistique. Le projet Aux quatre coins... d'ailleurs regroupe des photographies de Serge Clément captées de voyages sur plusieurs continents. L'artiste a pris soin, lors de sa sélection d'images, de jeter des clins d'oeil à leur nouvel environnement. L'escalier adjacent à l'ascenseur du Faubourg trouve ainsi écho dans une de ces colonnes investies pour l'occasion.

Pour la côte de la Pente Douce, Charles-F. Ouellet, un autre photographe, en début de carrière celui-ci, a disséminé tout le long d'un mur une dizaine de mètres de personnages grandeur nature. L'intervention Nous, vous, ils... exploite le caractère incliné de la côte pour créer des effets de mouvement.

Artistique avenue, troisième projet de l'été et seule exposition de groupe, repose donc sur la transformation de ces boîtes électriques en objets d'art. Leur fonction première, celle d'alimenter les feux de circulation, n'est pas obstruée. Mais elless prendront de l'ampleur, espère Vincent Roy, pas au point de faire trébucher les piétons mais de les faire ralentir, certainement.

«Notre but est de mettre l''art dans le monde, dit-il. On veut établir la communication avec les passants. Ce sont de nouveaux codes de conversation. Ce ne sont pas les codes propres à la signalisation ni à la publicité. Ce sont des codes propres à l'art.»

Parmi les exposants figurent des paysagistes reconnus comme Ivan Binet, ou des observateurs d'architecture tels que Denis Thibeault, tous deux photographes. Artistique Avenue présente aussi, dès le 30 juin, son peintre (Marc Séguin) et son dessinateur (Thierry Arcand-Bossé), dont les oeuvres seront reproduites. Martin Bureau, peintre lui aussi, interviendra discrètement sur les boîtes par le biais de pochoirs.

Pour l'historien de l'art Alexis Desgagnés, invité à siéger sur le jury de sélection des artistes, cette exposition, ainsi que tous les projets d'Exmuro, est une «belle initiative» qui maximise un mobilier dont le design «ne répond à aucun autre impératif sinon celui de l'invisibilité». Lui donner visibilité et nouvelle fonction élimine un des derniers «territoires d'affichage» de mauvais goût qui incluent la publicité sauvage et une sorte de graffitis «pauvres».

Desgagnés ne vise pas les graffitis authentiques qui s'accompagnent d'une véritable démarche. «Certains tags, par contre, sont l'expressions d'egos surdimensionnés.»

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Collaborateur du Devoir

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