Des mots sur un Plateau

Au départ de la place Gérald-Godin, au métro Mont-Royal, le parcours comporte autant d’arrêts qu’il y a de références littéraires associées à l’architecture du Plateau, à ses murs, à ses sculptures même.
Photo: Annik MH de Carufel - Le Devoir Au départ de la place Gérald-Godin, au métro Mont-Royal, le parcours comporte autant d’arrêts qu’il y a de références littéraires associées à l’architecture du Plateau, à ses murs, à ses sculptures même.

Toute la journée de demain est consacrée au potentiel littéraire du Plateau Mont-Royal. Circuits pédestres, expositions, lectures: la première édition de l'événement Lire Montréal se veut une invitation à la rencontre du texte et du territoire.

L'homme est une bibliothèque ambulante. Il peut autant citer Nelligan que réciter l'histoire littéraire du Québec. Parfois, les phrases surgissent spontanément, parfois un peu moins, lorsqu'il s'agit de retrouver un vieux bouquin oublié dans un coin du cerveau.

Gaëtan Dostie, poète et éditeur, vidéaste aussi, collectionneur, vous vous en douterez, est un moulin à paroles qui carbure à l'amour des mots, oui, mais également au partage des connaissances.

Demain, il dirigera le «Circuit littéraire du Plateau Mont-Royal», un voyage dans le temps de plusieurs kilomètres. De la place Gérald-Godin au métro Mont-Royal (départ à 15h), à la rue Napoléon de Paul-Émile Borduas, près du parc Lafontaine, en passant par la rue Laval, à l'ouest, jusqu'au carré Saint-Louis...

Tout un détour qui implique autant d'arrêts qu'il y a de références littéraires associées à l'architecture du Plateau, à ses murs, à ses sculptures même.

Gaëtan Dostie est l'auteur de l'anthologie Les poètes disparus du Québec et le fondateur d'une médiathèque littéraire au centre-ville — un petit musée qui n'en a pas le nom, rue de la Montagne. Des tours du Plateau, il en fait depuis quelques années. Celui de demain, qui souligne le 70e anniversaire de la mort d'Émile Nelligan, cible l'École littéraire de Montréal (1895-1935), dont a été membre l'auteur du célèbre «Ah! comme la neige a neigé!»

«Le point de départ, dit-il, c'est l'École littéraire. Mais je déborde. Je parle aussi d'Octave Crémazie par qui arrivent les querelles Montréal-Québec. À Québec, on l'a accusé de modifier l'histoire, on l'a traité de criminel, alors qu'à Montréal on l'a célébré.»

Le monument à Crémazie

Le monument à Louis-Octave Crémazie, un bronze de Louis-Philippe Hébert, a été érigé en 1906 au carré Saint-Louis, à la faveur de Louis Fréchette, membre de l'École littéraire de Montréal. L'arrêt s'impose pour Gaëtan Dostie, qui voit chez Crémazie ce pionnier de la poésie engagée dans la lutte du fait français, «le chantre de la politique».

Le circuit de Dostie n'est qu'une activité parmi les nombreuses autres au programme de Lire Montréal: au carrefour de l'imaginaire et de l'urbain. Ce minifestival de littérature, d'art et d'urbanisme, qui en est à sa première édition, propose un survol éclaté du Plateau Mont-Royal, incluant son extension du Mile-End.

«Le Plateau offre la plus grande concentration artistique, dit Gaëtan Dostie, comme s'il fallait encore le répéter. Des écrivains, il y en a plus de 200.» Son âme d'historien inclut des auteurs décédés, évoque aussi la mémoire de divers artistes liés au quartier tels que Borduas et Pellan.

Pour lui, la jonction des rues Saint-Denis et Duluth est celle de la dernière demeure de Claude Gauvreau — «C'est là qu'il s'est tué», rappelle-t-il —, alors que pour d'autres, les rues Rachel et Saint-André sont associées à la fin abrupte de Dédé Fortin, des Colocs.

Gaëtan Dostie a son explication: si le Plateau est doté d'une couleur créatrice, c'est qu'il a été le refuge, à ses origines, des Canadiens-Français. «Ça paraît même dans l'architecture, d'inspiration française, soutient-il, alors qu'ailleurs, au Vieux-Montréal, les sources sont plutôt britanniques.»

Parmi les autres activités de Lire Montréal, notons des rencontres-conférences, comme celle de Jacques Godbout (à la Bibliothèque du Mile-End, avenue du Parc, à 14h), ou des ateliers pour enfants tels que la «Tente lecture» de l'organisme Collège Frontière (au Jardin de la Bibliothèque du Mile-End, de 12h à 17h).

Des expositions de photos (Traces, à la librairie Port-en-Tête, avenue du Mont-Royal) ou d'extraits littéraires (Les quartiers de Tremblay et de Richler, à la Maison de la culture Plateau-Mont-Royal) sont aussi au menu. Ainsi que d'autres randonnées pédestres: «Les fantômes du passé: ce que nous révèlent les anciennes réclames du quartier» propose un parcours à la découverte des publicités peintes sur les murs de bâtiments, une pratique désuète mais toujours visible, lisible.

Cette fusion littéraire de rencontres, d'ateliers, d'expositions et de circuits, c'est peut-être Emmanuelle Jacques qui l'exprime le mieux. Son projet de sérigraphies Cartographie subjective dresse un plan du Mile-End, très reconnaissable, bien qu'inusité. L'artiste l'expose au centre Articule, rue Fairmount, en plusieurs variantes nées de la superposition de dessins.

«C'est un Mile-End subjectif, dit-elle, parce que je ne dessine que ce que je connais, que les endroits que je fréquente. Le reste, je le laisse en blanc.»

Un petit territoire

Sa carte découle de ses déplacements et illustre, comme elle le dit, «un petit territoire». Consciente qu'elle fréquente toujours les mêmes lieux, elle a ressenti le besoin d'élargir ses horizons en invitant les gens à venir estamper leurs propres allées et venues. Elle fournit les outils, des tampons aux symboles les plus divers, des lignes rappelant la voie ferrée au dessin évoquant la présence d'un resto.

Pour Emmanuelle Jacques, Lire Montréal est un événement sur le territoire, une occasion de rehausser notre sentiment d'appartenance à une communauté, à un quartier. Le sien, Mile-End, est un carrefour des cultures. Autant que celui décrit dans Le Tango de Montréal de Godin, devant lequel les participants du «circuit littéraire» de Gaëtan Dostie ont rendez-vous.

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Collaborateur du Devoir

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