Expositions - Génération Sobey

Unwrapping Rodin (Blue) 4, 2010, d’Adad Hannah
Photo: Source MACM Unwrapping Rodin (Blue) 4, 2010, d’Adad Hannah

Tout concours, toute compétition, fait des gagnants et des perdants. Qu'on le veuille ou non. Même dans le domaine de l'art. Et les gens adorent ça; pensez aux Oscar et à l'attention médiatique qu'ils (se) créent. L'enthousiasme que suscite le prix Sobey dans le milieu de l'art contemporain au Canada a sans doute à voir avec ça. La course à ce gros lot (50 000 $) fascine.

Notons, dès lors, l'audace dont fait preuve le Musée d'art contemporain de Montréal (MACM) dans sa première présentation d'une exposition liée à cette récompense pancanadienne. Quitte à offusquer et à mêler, voire confondre, le public, l'établissement montréalais expose sans embarras les demi-finalistes québécois, soit quatre artistes hors course, au même titre que les cinq artistes encore en lice.

L'exposition BGL/Pascal Grandmaison/Adad Hannah/Karen Tam précède la manifestation attendue, simplement intitulée Prix artistique Sobey 2010. Elle la précède peut-être en tant que hors-d'oeuvre, mais elle a la même envergure, avec des espaces similaires. Ni manières expéditives ici, ni tapis rouge là, à peine un mur qui marque la fin de l'une et le début de l'autre. Ni perdants ni gagnant(s), tous égaux.

Volet Québec

Dire que les demi-finalistes font de l'ombre aux finalistes serait exagéré. Les premiers n'ont cependant pas à rougir. Leur présence confirme même une tendance de l'art actuel: la cuvée 2010 est celle du collage et du rafistolage, de l'image tronquée, de l'esthétique de la décomposition — ou de l'accumulation. Les univers de Karen Tam et de Pascal Grandmaison, qui ouvrent le parcours, sont distants l'un de l'autre. Mais entre les installations kitsch de l'une et les images épurées de l'autre, dans ce face-à-face entre exubérance ludique et tension dramatique, on a un bon aperçu de ce qui suivra.

Avec l'oeuvre cinétique Pinocchio (un arbre mal en point), le collectif BGL propose un regard cinglant sur notre absolue nécessité à trouver un sens à tout. Les éléments utilisés, et l'assemblage en déséquilibre, ont aussi à voir avec ce rafistolage de choses étrangères: boîtes de son bien visibles versus ventilateurs cachés, du vent (du vrai) versus un faux arbre...

Pour clore cette mini-Triennale québécoise: Adad Hannah et une autre de ses interprétations des Bourgeois de Calais. La sculpture en six figures de Rodin est encore décortiquée, morcelée en six vidéos statiques. Ce qui est nouveau chez lui, c'est une série de photos ponctuant le déballage d'un des bourgeois. Au-delà de la portée narrative qu'il crée, cette suite insiste sur l'idée qu'un tout est fait de fragments, d'éléments dissociés et dissociables, d'apparences et d'images réelles.

Les cinq fabuleux

Le Canada, selon le Sobey, se dessine en cinq régions. Chacune a son représentant en finale. L'expo 2010 s'ouvre avec l'Ontarien Brendan Fernandes, dont les questionnements sur l'identité culturelle occupent sa pratique. Si les trois oeuvres qu'il expose partagent ce point, elles semblent néanmoins en compétition. Sculpture, animation sonore et vidéo (au très, très ralenti), il est, certes, quelqu'un de polyvalent. Son dessin en est un de fragments, parfois au léger pointillisme, alors que sa vidéo, autour d'un félin en mode chasse, est montrée image par image, sans censure pour les passages flous.

Brendan Tang, de la région «côte ouest et Yukon», est, à la manière de notre Karen Tam, plus direct dans ses commentaires sur le mélange des cultures. Ses céramiques, composites, baroques même, fusionnent tradition européenne, iconographie orientale et design industriel. Ça donne des objets incongrus, des monstres séduisants à la forme utilitaire (un vase?) et aux textures organiques (tels des plis de jambe). L'artiste expose, sous verre, une dizaine de ses pièces intitulées Manga Ormolu.

Des Maritimes, le duo Emily Vey Duke + Cooper Battersby semble encore plus disparate avec un écran vidéo (un montage d'oeuvres réalisées depuis 1998), une installation de pancartes de manifestants et une série d'oeuvres miniatures (sous socle aussi). Les trois corpus sont reliés par le motif du singe, et de notre relation à lui, à la nature. Humour et revendications sociales animent cette salle obscure, sans qu'on sache s'il s'agit d'un véritable appel à la révolte ou de simples jolies fictions bien menées.

Daniel Barrow, de la région «Prairies et Nord», est probablement le plus connu des cinq finalistes. Il faut dire que ses complexes installations-projections, qui puisent dans les origines du cinéma (à la William Kentridge), séduisent rapidement. Images composites là aussi, collage de différentes sources (multiples projecteurs et outils), ensembles découpés, instables. C'est efficace, mais ça donne l'impression de manquer de profondeur.

Enfin, le Québécois finaliste, Patrick Bernatchez, atteint un haut niveau de sophistication. Les trois oeuvres réunies, toutes autour du temps qui passe et de l'inévitable fin, pourraient cependant laisser le spectateur sur sa faim. C'est que, derrière le côté macabre de cette mise en scène — salle dans l'obscurité, tic-tac d'une montre, piano trafiqué, une nature morte et son reflet, ou sa projection —, le fil conducteur se fait attendre. Reste qu'il s'agit, sous les airs des Variations Goldberg de Bach, d'une expérience sur l'attente, sur cette impossible mission de tout saisir, de tout arrêter.

Alors, vous misez sur qui?

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Collaborateur du Devoir

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