Expositions - Cités de demain, cités d'aujourd'hui

Une des maquettes de Stéphane Gilot
Photo: Source Optica Une des maquettes de Stéphane Gilot

À la galerie SBC, on montre un Bagdad inventé de toutes pièces, mais fidèle à la réalité. Chez Pierre-François Ouellette, c'est devant un Québec des plus réalistes qu'on se retrouve, et pourtant il y a quelque chose qui cloche, qui sonne impossible. Et, au cen-tre Optica, on dénonce, sous des airs pop-rock, les projets urbains qui rasent des quartiers entiers, avec la prétention d'avoir des idées de grandeur. Ici, pas de fiction.

Il y a dans l'art actuel, comme le prouvent certains des travaux exposés ces jours-ci au Belgo, un fort penchant pour interroger la ville, comme lieu des fantasmes les plus éhontés. Que ce soit à des fins de stratégie militaire, de consommation touristique ou de supposé progrès, l'architecture et la planification urbaine semblent être un dangereux terrain de jeu.

Au milieu de tous ces projets (Pourquoi photogénique?, d'Emanuel Licha, L'Envers du décor, d'Isabelle Hayeur, et Urbang, du duo allemand

Sylvia Winkler + Stephan Köperl), ou comme condensé de tous ces doutes et interrogations, se situe la pratique de Stéphane Gilot. Et c'est aussi à Optica qu'il expose.

À cheval entre la fiction et la réalité, entre la science-fiction et le présent, les oeuvres de Gilot dessinent des lieux ambigus, reconnaissables en partie, souvent oniriques. L'installation qui occupe la grande salle du centre d'artistes, au 5e étage du Belgo, sorte de maquette d'une ville imaginaire avec ses différents modules et ses nombreux détails et recoins, n'en démord pas. La Cité performative, titre de l'oeuvre et de l'expo qui inclut aussi trois dessins, rassemble tous les ingrédients de son art.

Un fond de réalisme

En fait, Gilot, en cette seule oeuvre, s'offre une sorte de rétrospective, de bilan. La cité performative se compose de fragments de ses projets antérieurs, qu'il a recyclés, repensés, réintroduits dans un nouveau contexte. Sculpture, vidéo, performance, dessin, on y trouve des traces de tout ce à quoi touche l'artiste. Et les fragments des Plans d'évasion (série d'installations réalisées depuis 2001) s'y côtoient comme des solutions disparates de langages architecturaux, comme diverses expérimentations du corps dans un espace, ou des tentatives éparses de fuir la réalité.

Dans cette modélisation d'une ville (du futur?), Stéphane Gilot jongle, comme toujours, avec des sensations contraires. Autant il y a un plaisir, une expérience proche du jeu, à observer ses petites constructions, autant on y éprouve un malaise, une sorte de phobie.

Avec ses tours de Babel et de surveillance, ses bâtiments à la fois beaux et froids (cons-tat limpide de l'architecture moderniste), ouverts (gran-des parois translucides), mais cloisonnés, Gilot dresse un portrait pas très loin de la réalité de nos cités. L'humain y paie de sa liberté.

Les vidéos-performances introduisent des moments de folie (comme ce maître attaché en laisse à son chien, et non l'inverse) et ce sont elles qui introduisent le rythme du parcours du visiteur. Mais ce monde lilliputien imaginé doit aussi se découvrir dans ces multiples détails, du minirail qui bouge sans se déplacer au miroir qui livre le reflet d'une station de métro — du moins, en apparence.

Si ce quartier vous déplaît, créez-en d'autres, l'intitulé qui chapeaute les trois dessins sur le mur rappelle à quel point Stéphane Gilot est un habile dessinateur. Un architecte par défaut, faut-il croire. Dans ce triptyque sur papier aussi fantastique que les modules et maquettes, les quartiers imaginés ont de multiples apparences, du parc d'amusements à la gated city. Dans tous les cas, il y a, dans ces impossibles lieux, un fond de réalisme.

Quelque part, le travail des Allemands Winkler et Köperl offre une réponse au futurisme de Stéphane Gilot. En Chine ou ici, à Montréal (à Griffintown, pour être précis), le duo d'artistes activistes s'est inspiré de cas réels pour dénoncer la soif du développement urbain à tout prix. Leurs vidéos mêlent documentaire sociologique et visite touristique à coups de chansons pop ou rock — ils travestissent les paroles d'airs connus.

La présentation d'Urbang mime, avec ses parois et ses petits espace clos, l'espace qu'une ville peut prendre. Et l'expérience en solitaire à laquelle ils nous convient, casques d'écoute aidant, pointe l'engagement, le rôle qui incombe à chaque individu. Dans ces cités, qu'on y soit surveillé et campé dans des actions bien précises, comme chez Gilot, on finit toujours par se trouver face à un choix. Soit on subit et on reste passif, ou au mieux on achète les condos de luxe en fermant les yeux, soit on agit et on tente de changer la donne.

Belles utopies, mais rien ne sert de ne pas y croire.

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Collaborateur du Devoir

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