Off, comme dans non officiel

À la marge, ou à la remorque. En retrait, ou excentré. Mais surtout revendicateur et sans scrupules. Le volet Off de tout grand festival cultive l'image du hors-la-loi. À Québec, où le mois de mai, tous les deux ans, est celui de la Manif d'art, il faut désormais compter avec des contestataires. Pour la première fois en cinq éditions, il y a une Off-Manif. À la «catastrophe» véhiculée par la sélection officielle (lire la critique, demain, en page E 6) répond l'exposition satellite Accident.
«Comment vivions-nous sans Off? Comment pouvait-on offrir un des festivals d'art les plus dynamiques du pays sans son pendant provocant et anarchiste? Comment pouvait-on être in si on ne pouvait pas être off?»Cette citation pourrait s'appliquer à bien des manifestations. Elle est d'Olivier Kemeid, co-porte-parole de l'OFFTA 2010, «l'événement artistique festivalier aux abords du Festival TransAmériques».
De toute évidence, un festival atteint son importance, devient indiscutable lorsque se greffe une seconde programmation. Off, pour non officielle. Off, qui certifie le in, qui le complète.
«Nous voulions faire un événement parallèle pour ajouter notre discours, explique Émilie Roi, une des trois coordonnatrices-commissaires de l'Off-Manif. Nous ne voulions pas reprendre la même thématique mais quelque chose d'apparent, de continu. Il fallait nous positionner.»
Positionner, et imposer des couleurs locales. Si la Manif a pris cette année une ampleur internationale, c'est au détriment des Québécois, devenus minoritaires. Accident remédie à cette nouvelle situation: des six artistes qui la composent, quatre sont de Québec, deux de Montréal.
Faut-il voir, dès lors, dans Off, un Salon des refusés, comme à l'époque où Édouard Manet n'était pas encore un impressionniste? «Non, rétorque Émilie Roi. On se positionne mais on ne le fait pas contre la Manif. On surfe sur la vague. Le public se déplace, il y a un bon achalandage. On en profite.»
L'image de la marginalité
Excentrique et excentrée, l'Off-Manif. Bien qu'en plein centre-ville, la rue des Commissaires qui l'accueille est quand même à part des adresses «officielles» de la Manif. Le local investi entretient l'image de la marginalité avec ces espaces à la fois bien pleins, en bric-à-brac, et vides, comme abandonnés.
Il s'agit d'un ancien entrepôt de fourrures, le Wilfrid J. Lachance Ltée, aujourd'hui occupé par Tergos architecture et construction écologique. La partie bureau a été laissée intacte. La section remise, beaucoup moins.
Disons que là où s'accumulent les restes et les matériaux des architectes a inspiré une des artistes, Josée Landry-Sirois. Ses dessins aux traits fins, qui représentent un paysage en élévation, accentuent l'impression de vertige, propre au lieu. Le visiteur est d'ailleurs condamné à observer tout ça d'en haut, comme sur le bord d'un précipice. Ou d'un «plongeoir», tel que le qualifie Émilie Roi. «On contrôle le regard du spectateur, dit-elle. On le cadre, on ne lui offre qu'un point de vue.»
C'est elle qui a déniché l'adresse. Trouver des lieux inusités où exposer, en lien avec le propos avancé, c'est son métier, elle qui travaille pour Folie/Culture, organisme iconoclaste de Québec. Pour Accident, elle cherchait un endroit bancal, propre à la thématique. Quelque chose pour se distancier encore plus du «cube blanc des institutions». «On avait envie de casser ce rapport qui lie l'art aux institutions», poursuit-elle.
Le lieu choisi, dans son apparence instable, comme entre deux fonctions, deux vies, correspond au discours des manifestantes rebelles. «Le terme "accident", lit-on dans le texte de présentation, implique l'apparition d'un événement aléatoire et fortuit [...], qui nous place face à une perte de contrôle qui bouleverse ou interrompt le déroulement normal de nos vies.»
Dans un coffre-fort
Du vertige qu'elles imposent devant les dessins de Landry-Sirois, les commissaires nous conduisent presque à un cul-de-sac. À une expérience proche de la claustrophobie. Elles présentent d'autres oeuvres dans ce qui servait jadis de coffre-fort pour les fourrures.
Le projet de Natacha Niederstrass mêle texte et images à l'instar d'un photoroman policier pour raconter la mort mystérieuse d'un homme. Mi-fiction, mi-documentaire, ou ni fiction, ni documentaire, l'oeuvre confronte notre interprétation des faits et des indices au fur et à mesure qu'on nous les révèle.
Un étage plus bas, dans ce même bunker sombre au plafond bas, l'accident prend racine dans des dioramas miniatures de Catherine Plaisance qui décrivent de terribles cataclysmes. L'absurde de l'installation de Patrick Bérubé et le fétichisme des affiches de Blaise Carrier Chouinard tirent, sinon, l'accident vers la métaphore. Ailleurs, la peinture éclectique de Dan Brault repose sur des liens (accidentels, fortuits et, pourquoi pas, anarchistes) entre ses tableaux aux couleurs, formats et genres si distincts.
Comme toute bonne programmation off, celle-ci a ses manières. Elle se conclut dimanche, alors que la grande manifestation se poursuit pendant encore un mois.
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Accident, 326, rue des Commissaires Est, Québec, jusqu'au 16 mai.
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Collaborateur du Devoir