Penser tout haut / Faire l'architecture au Centre de design de l'UQAM - Des espaces incubateurs d'idées

Jusqu'au 18 avril, le Centre de design de l'UQAM, à Montréal, présente Penser tout haut / Faire l'architecture, une exposition qui nous raconte l'architecture sous un angle très humain et très personnel, en nous introduisant dans les espaces de travail de vingt-deux bureaux d'architecture étrangers et canadiens. À travers des entrevues filmées, des photos, des dessins, des maquettes et des objets inusités, la commissaire Elke Krasny nous entraîne dans vingt-deux histoires passionnantes qui mettent en scène l'imagination débordante, la poésie et l'humour des architectes. L'exposition s'accompagne d'un lexique d'outils professionnels, préparé par l'autre commissaire, Céline Poisson.
Théoricienne, écrivaine et artiste basée à Vienne, Elke Krasny s'intéresse de très près aux liens qui unissent l'architecture à l'urbanisme, à la culture et à l'art, ainsi qu'aux processus de communication dans les espaces publics et dans les salles de musée. C'est elle qui a eu l'idée originale de monter cette exposition, une première mondiale, qui a le mérite de s'intéresser au making of de l'architecture et non pas à l'oeuvre terminée. C'est avec un grand sens de la narration qu'Elke Krasny nous introduit, tels des invités, dans l'univers de vingt-deux ateliers d'architecture, nous faisant découvrir comment l'on y travaille, de quelle façon naissent les oeuvres et quelles sont les techniques employées par l'architecte pour traduire ses intuitions complexes en langage architectural.«À l'origine, l'exposition a été présentée à Vienne en 2008-09, et elle s'intéressait à l'univers de vingt bureaux d'architecture étrangers. Pour la version canadienne, nous avons décidé de garder onze bureaux internationaux et d'ajouter l'univers de onze cabinets d'architecture canadiens. J'ai donc parcouru ce beau pays d'est en ouest pour effectuer mes recherches en atelier et rassembler toute la documentation nécessaire pour refléter les différentes façons de travailler des architectes canadiens», explique Elke Krasny.
Comment naissent les idées?
Elke Krasny aurait pu poser un regard distant sur le sujet et montrer, comme on le voit si souvent, des bureaux d'architecture impeccables, des créateurs figés, des projets terminés. Au lieu de cela, elle a choisi un angle humain et spontané, nous laissant entrevoir le désordre, l'imagination, la fertilité et l'émotion qui règnent dans ces milieux de travail. En plus d'être plongés dans l'univers de la création pure et dure, il est remarquable de voir à quel point la naissance d'une idée et sa mise en forme sont quelque chose de fragile et de volatil, qui tient parfois à un objet ou à des rituels anodins.
Dans le portrait qu'elle dresse de chacun des bureaux, la commissaire met en parallèle le mode de création et l'état des lieux. Par exemple, dans le cas de l'Atelier Big City de Montréal, la commissaire décrit le collage, l'utilisation du papier et de la couleur, comme les outils conceptuels privilégiés par ce bureau.
«Après vingt ans de pratique, les trois collègues ont élaboré des modes de communication entre eux qui ne requièrent pas leur présence physique dans l'atelier. Le collage est perçu comme un travail stratifié et l'on pourrait dire que l'effet de collage est typique, non seulement de leur forme particulière de notation, mais aussi de leur travail en collaboration, qui comporte la production d'interprétations à plusieurs niveaux de ce que chacun voit dans le travail des autres. Par ailleurs, on peut concevoir leur atelier comme un collage temporel où des restes d'installations ou de collaborations à des expositions antérieures sont réutilisés comme espaces et tables de travail individuels», dit-elle.
Il est intéressant, et rassurant, de voir que beaucoup de bureaux se détachent complètement de l'outil informatique lors de la création. Certains, comme Richard Kroeker de la Nouvelle-Écosse, emploient une méthode de création qui ressemble à un jeu d'enfant. En effet, l'architecte a élaboré une technique consistant à découper du papier coloré à l'aide d'un couteau et, lorsque le papier découpé est déplié, il donne directement une oeuvre en trois dimensions. «Je trouve le dessin trop lent pour l'architecture. Un stylo exige des idées fermes. Si vous dessinez à l'aide d'un couteau, cela peut être dix choses différentes en même temps, dit Richard Kroeker. En plus, la transition est plus rapide entre le couteau et la maquette», ajoute-t-il.
Dans le cas de Saucier + Perrotte de Montréal, un autre bureau présenté à l'exposition, les croquis effectués sur le tableau noir de l'agence, les photos et croquis réalisés par Gilles Saucier, de même que les expériences avec les nombreux outils et matériaux présents dans l'atelier de maquettes sont à la base de leur oeuvre. L'exposition de leurs maquettes d'études, qui apparaissent comme de véritables sculptures, permet de comprendre l'évolution de leur pensée architecturale et la manière dont ils mûrissent leurs projets. «Chaque projet est une relation qui provient du contact de la mémoire avec le paysage», dit à ce propos Gilles Saucier, qui collectionne de nombreuses et belles photos de paysage.
À la manière d'un atelier d'architecture...
Il n'est pas évident de raconter ce qui se passe dans la tête d'un architecte, encore moins évident de donner un sens à des extraits vidéo, aux photos et aux dessins, aux objets pêle-mêle, du bout de bois jusqu'au brin d'herbe. Pourtant, Georges Labrecque, responsable de la scénographie de l'exposition, a remarquablement bien réussi son pari d'apporter une narration dans tout ça. «Je suis parti de l'idée d'utiliser le vocabulaire architectural de ce bureau en recréant l'idée d'un bureau de travail dans l'exposition. Ainsi, le comptoir d'accueil ou les tables avec leurs chaises pourraient être des éléments issus de n'importe lequel des bureaux d'architectes», précise-t-il.
L'exposition se compose de douze immenses tables de travail en bois de Lauane, chaque table comprenant un cabinet en plexiglas avec une face givrée où est écrit un texte en jaune fluorescent qui est prolongé en écho sur la table par des photos de bureaux. L'éclairage descendant du plafond a été abaissé à un niveau humain, et cet ensemble joue parfaitement son rôle de mise en contexte pour le visiteur, qui est invité à s'asseoir et peut entrer rapidement dans l'univers de chaque atelier. Un immense panneau en bois présente de manière très graphique un photomontage des vingt-deux bureaux d'architectes exposés. L'ensemble fonctionne à merveille...
Au côté de l'exposition, une immense table longitudinale présente quant à elle une soixantaine d'outils de calcul, de dessin, d'organisation ou de notation nécessaires au travail quotidien de l'architecte: un agenda, une règle, un compas, un ordinateur, un classeur ou une table à dessin, des outils d'imagination comme une maquette, un roman, un yo-yo, qui peuvent autrement être mis au service du projet.
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Collaboratrice du Devoir
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Centre de design de l'UQAM, 1440, rue Sanguinet, Montréal, 514 987-3395, www.centrededesign.uqam.ca, Entrée libre, du mercredi au dimanche de midi à 18h.